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Des histoires qui se vivent

Justine de l’association Dream’in Noise (février-mars 2021)

Justine de l’association Dream’in Noise (février-mars 2021)

Ceux qui s’engagent dans l’organisation de concerts ont tous un parcours différent mais ils ont un point commun : une excellente connaissance musicale et une première orga souvent très réussie. Le 3 février 2018, Justine Évrard n’échappe pas à la règle. Après quelques années de bénévolat dans le milieu culturel, elle crée sa propre association et programme trois groupes au Marquis de Sade. À l’affiche ? Odium Decoy, Mauvais Geste et Black Malo. La concurrence est rude à Rennes… mais elle y croit et elle a raison. C’est une réussite ! Le petit Caf’Conc’ de la rue de Paris ouvrira ses portes à 80 personnes ce soir-là. Dream’in Noise est officiellement née.

Marquis de Sade, Mondo Bizarro, Gazoline, Ty Anna Tavarn, Synthi, Alex’s Tavern… l’association investit des lieux plutôt underground. Des espaces au plus proche du public où rien n’est impossible. En mode Do it Yourself, Justine parvient à placer des groupes comme The Lumberjack Feedback (avec leur duo de batteurs) dans le minuscule Terminus. Et elle ne s’arrête pas là ! En à peine deux ans, les projets se multiplient : un partenariat avec Metalorgie, la co-orgaination du « mini-fest » Les Enlaidies, une lecture-concert à La Part des Anges… Justine sait donner une place aux artistes de tout horizon et le public s’y retrouve. Tout va très vite et peu de mauvaises surprises… Mais qu’est-ce qui explique un tel feeling ? Est-il indispensable de faire soi-même de la musique pour mettre un pied dans cet univers ? Non. Rien n’est jamais figé mais avoir du recul est même un atout. Ce qui fait la différence, c’est sans doute la curiosité et la capacité à se passionner. Avant de tenter l’aventure Dream’in Noise, Justine a voyagé, elle s’est consacrée à l’environnement aussi. Mais c’est à Rennes qu’elle pose régulièrement ses bagages et c’est dans cette ville qu’elle affirme sa passion pour la musique. Bénévole en festivals, chroniqueuse radio pour C-Lab… Elle tient un blog, écrit pendant 2 éditions pour les Bars en Trans et fait du booking (et de l’orga de tournées) pour Raskolnikov et Drawing Hills. Être sur le terrain, se confronter à de nouvelles expériences… C’est en allant vers les autres que le projet Dream’in Noise se dessine. En 2017, elle fait même un pas supplémentaire en se professionnalisant : elle suit une licence pro « Gestion de la production audiovisuelle multimédia et évènementielle » et fait un stage dans un label.

La suite… La suite est en cours d’écriture mais nul doute que l’avenir de Justine et de Dream’in Noise sera riche de rencontres. Il est vrai qu’à l’heure du Covid, tout est plus complexe. Se projeter n’est plus une évidence mais quand les concerts reprendront, il faudra des actrices et des acteurs comme Justine Evrard pour faire battre à nouveau le cœur de la musique à Rennes… ou ailleurs. Et qui sait, c’est peut-être dans un tout autre rôle que l’organisatrice renouera avec la scène ? À la basse et au chant, avec des musiciens qui partageraient les mêmes aspirations. Sait-on jamais… Comme quoi, rien n’est jamais figé.

Caroline Vannier

Interview concerts dans le rétro

1 – Ton premier coup de cœur musical ?
J’écoute majoritairement du metal et affiliés aujourd’hui, surtout du post rock/post metal et les dérivés planants du black metal. Je ne me rappelle plus exactement via quel groupe, mais je crois que c’est via la brit pop et le pop rock anglais que j’ai commencé à être dingue de musique. Et quand j’ai découvert des trucs genre Le Velvet Underground, Depeche Mode, Leonard Cohen, et dans une autre dimension Blur, Ghinzu, Arcade Fire… Bah voilà, quoi, c’était fini ! Des groupes que j’écoute encore trèèèès régulièrement aujourd’hui ! C’est un peu ma porte d’entrée dans cet univers… Ce sont des groupes de neo metal et de prog, genre Porcupine Tree et Pain of Salvation, qui m’ont amenée vers des trucs plus vener et lourds.

2 – Un concert inoubliable ?
Hou… Inoubliable… Il y en a eu tellement qui m’ont marquée… Le premier qui me vient en tête, cependant, est un concert de Swans, que j’avais vu au 106, à Rouen… À un moment je me sors de ma torpeur et jette un œil autour de moi. Le public était hypnotisé, bougeait d’avant en arrière en rythme, comme s’il était devenu une seule entité… C’était la messe, on était tous en transe. Je n’avais jamais rien vécu de comparable auparavant !
Celui de Lingua Ignota, au Ferrailleur à Nantes, en 2019. Dans la voix de cette nana… holala il y a un truc magique, sacré, qui prend aux tripes et parle à tout le monde… Plus particulièrement à la partie la plus fragile de ton âme… Je crois que c’est le seul concert de ma vie où j’ai versé une larme. Ah oui et pile pendant ce concert, on m’apprend que Notre Dame est en train de cramer… ça a rajouté un petit côté black metal à la soirée. Quand j’avais vu Saint Sadrill aussi… Je ne m’attendais pas à quelque chose d’aussi beau… Que ce soit la voix d’Antoine qui est d’une beauté, l’interaction des musiciens entre eux, ou la manière dont ils faisaient plonger le public dans leur univers… Un vrai bonheur ! Refused aussi, au dernier Hellfest, c’était génial ! La fatigue cumulée de quatre jours de festoch s’est envolée comme par magie quand ils jouaient !
Et bien sûr, Birds in Row ! Je me sens toujours privilégiée quand j’assiste à un de leur concert. Ces gars là sont tellement sincères, il y a vraiment un truc qui se passe entre eux et le public, un truc intense et vrai. Et la dernière fois que je les ai vus, c’était à Londres et mon dernier concert avant le confinement, du coup dur d’oublier ça!

3 – Côté organisation, quelle est ta plus grande fierté ?
C’est dur… J’ai envie de citer pratiquement tous les groupes que j’ai fait jouer… Mais s’il faut choisir on va dire mon premier concert, avec Odium Decoy, Mauvais Geste et Black Malo. Car faire son premier pas dans l’orga c’est toujours le plus stressant mais aussi le plus excitant. Et puis les concerts en eux-mêmes étaient juste géniaux ! Avoir pu organiser Les Enlaidies aussi, bien sûr ! J’ai de fortes convictions féministes depuis environ mes 13 ans et réussir à organiser (avec trois amies) un festival où l’on programme des groupes de ouf avec pratiquement que des femmes, c’est réellement un accomplissement personnel !
Et plus précisément, pour les groupes en eux-mêmes… Je suis hyper heureuse d’avoir fait jouer Ingrina, c’est un groupe que je suivais depuis quelques années et c’est d’ailleurs le dernier concert que j’ai organisé (au Mondo) avec Utoya ce soir-là avant… que ça devienne compliqué ! D’avoir fait jouer Mars Red Sky au Mondo aussi. C’était genre ma troisième orga, on attendait du monde… et je m’étais mis beaucoup de pression. On a eu environ 200 personnes ce soir-là, c’était énorme !
The Lumberjack Feedback et Wyatt E. qu’on avait co-organisé avec Antisthène en moins de 24h au Terminus suite à une annulation, c’était pas mal aussi ! Je suis également hyper contente d’avoir pu faire jouer Every Stranger Looks Like You. J’avais adoré écouter leurs albums, mais en live… Wouah ! Je ne m’attendais pas à un truc aussi intense et qui me plaise encore plus !

4 – Des groupes ou des artistes que tu aimerais faire jouer ?
Russian Circles ! C’est mon groupe contemporain préféré. Mais bon, c’est un de mes rêves les plus fou, dans la réalité il faudrait un sacré budget pour le concrétiser ! Lingua Ignota, Feminazgul, je suis une très très grande fan ! La scène belge a toujours regorgé de groupes hypra talentueux et dans une dimension où ils seraient encore actifs, je rêve de faire jouer Ghinzu (même si juste revivre un de leurs concerts, ce serait déjà fantastique). Amenra et Oathbreaker aussi, mais pareil, pour ce genre de groupes, mon asso est un peu trop… DIY on va dire ! Côté français, si un jour je pouvais faire jouer Year of No Light, Monarch!, Ddent ou Birds in Row, je serais aux anges !

5 – Comment découvres-tu de nouveaux groupes ? En live et/ou sur Internet ?
Je crois que la base principale de mes découvertes vient les échanges que je peux avoir avec d’autres passionné.e.s et avec des potes, ou de soirées où on se fait écouter les sons qu’on aime respectivement qui aboutissent à des to listen listes (que je perds ou pas..). Elles viennent aussi des différents media internet et blog spécialisés, la presse écrite (même si c’est sporadique). Enfin bien sûr, une très grosse partie de mes découvertes a lieu en concerts et en festivals.

6 – Vinyles, C.D., K7 : des supports encore importants aujourd’hui ?
Importants pour soutenir les groupes qu’on aime, oui ! Après… à titre perso j’ai une petite collection de vinyles, mais j’ai ralenti mes achats quand je me suis rendue compte que je ne les écoutais pas tant que ça… Je ne voulais plus être dans l’accumulation. Même si bien sûr il m’arrive encore de craquer lorsque je suis soufflée par la prestation d’un groupe en live, ou que je suis particulièrement fan d’un groupe. Quand j’écoute un groupe c’est principalement via bandcamp ou des plateformes de streaming. J’ai toujours une belle collection de CD que je me trimballais régulièrement quand j’avais encore une voiture (dont le lecteur ne lisait que les CD). Mais en vrai le CD est un support tellement pourri qu’il est voué à disparaître. Au-delà de l’espèce de hype qu’il y a autour du vinyle et de la cassette, c’est quand-même important que ces supports subsistent. Déjà pour les conserver à long terme, car le stockage numérique n’est pas indéfini, contrairement à ce qu’on a tendance à imager. Et puis la qualité est souvent meilleure (pour les vinyles en tout cas) et le rituel qui y est attaché fait toujours plaisir. Et souvent ce sont de beaux objets, des œuvres d’art à part entière. Mais bon, si on ne veut pas se mentir, c’est le numérique qui gagne, on n’y peut rien et j’ai envie de dire tant mieux ! Je suis pour l’accès à la culture pour tous et je suis contente qu’aujourd’hui, n’importe qui puisse avoir accès à n’importe quelle forme d’art relativement facilement.

7 – Un bon groupe peut-il être mauvais sur scène ?
Oui, je pense. J’en ai déjà été témoin. Puis la scène c’est chaud quand-même, c’est normal que quelques fois il y ait des ratés !

8 – Cinq albums à impérativement écouter ?
Je mets de côté tous les classiques de type Velvet Underground (mon groupe préféré), Beatles, Depeche Mode, etc… que tout le monde connaît, mais qu’il faut impérativement écouter avant ceux que je vais lister :
– Desertshore de Nico (sa carrière solo est injustement méconnue)
– F# A# ∞ de Gospeed You ! Black Emperor
– Station de Russian Circles
– Murmuüre
– All Bitches Die de Lingua Ignota

9 – Un festival pas comme les autres ?
J’ai décidé de rester en Bretagne en 2016 grâce au Binik Folk Blues Festival. J’avais tellement aimé le site, l’ambiance, les concerts… Après… il a pas mal évolué en quelques années, il y a maintenant beaucoup trop de monde, ça en gâche un peu le charme malheureusement. Le Cabaret Vert, festival de ma région de naissance, que je supporte depuis ses débuts. Tu as la même prog qu’à Rock en Seine, donc de sacrés bons groupes quand-même (et une scène plus indé, dédiée aux découvertes et groupes plus underground, je précise), mais tu as le charme d’un festival d’une région rurale et frontalière, avec une super ambiance, des spécialités locales et des gens sympas du cru ou des pays frontaliers. Après, comme tout petit festival qui est devenu géant, il a gagné pas mal de trucs, notamment concernant la prog, mais a perdu aussi le charme des premières années. Et sa grosse particularité, c’est aussi d’être dans une démarche aussi écolo que possible et ça c’est un très très gros plus. Le Hellfest, le Motoc… ils ont leurs défauts, mais je suis toujours contente d’en être ! Le Samaïn Fest, pour sûr, ça c’est un festoch pas comme les autres, qui soutient un très beau projet et qui j’espère, va perdurer ! Le Tapette Fest c’était un super festoch aussi, très DIY et éclectique dans le côté bourrin. De manière générale ce sont les tout petits festoch que je préfère, où tu arrives à parler aux gens et à faire de vraies découvertes. Là je n’en ai pas cité beaucoup, mais en vrai j’ai fait proportionnellement plus de concerts dans ma vie que de festivals.

10 – Un mot sur la période que nous vivons en ce moment ?
Les concerts me manquent.

Interview réalisé par mail.

Sur le Web :
https://www.facebook.com/DreaminNoise

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