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Des histoires qui se vivent

Catégorie dans Musique

Canal B fête ses 40 ans

Radios libres, fanzines, cafés-concerts… les années 1980 ont semé un vent de liberté dans le milieu culturel. Le Do it yourself (Faites-le vous même) a permis d’ouvrir une autre voie, celle de l’alternative. Et quel souffle ! Un paquet de passionnés ont pris la parole et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’ils ont fait bouger les lignes. Dans le domaine musical, ils ont favorisé l’émergence de groupes ignorés par les médias classiques. Indépendants, activistes, dénicheurs de talents… peu importe l’adjectif ou le nom qu’on leur attribue, ces acteurs de l’ombre sont allés au bout de leurs propos. En cassant les codes, ils sont devenus les pionniers d’un nouveau genre de traitement de l’information. Oui, mais qu’en est-il aujourd’hui ? À l’heure d’Internet et des réseaux sociaux, que sont devenus ces intermédiaires qui donnaient à réfléchir ?

À Rennes, il existe encore des irréductibles. Canal B est née en 1984 et 40 ans plus tard, elle est toujours là. Pirate. Oui, c’est de cette façon que l’histoire de cette radio associative débute. Pendant presque dix ans, sa fréquence a oscillé entre 87 et 104 MHz : loin des podcasts, il fallait jouer des potards pour la trouver. Dans ses toutes jeunes années, la radio démarre en club à la MJC de Bruz (le B de Canal B correspond à la première lettre de cette ville). À cette époque, elle n’émettait que le week-end mais elle a très vite élargi ses créneaux à la semaine entière (avant de passer à 24 h/24 h). En 1986, des recrues issues de Radio Savane (qui devient une franchise de Fun Radio cette même année) arrivent aux côtés des débutants. Des gens férus de musique qui galvanisent les troupes ! Avec eux, Canal B devient une référence punk rock comme le rappelle Yann Barbotin (programmateur musical et journaliste culturel à Canal B) : « à la fin des années 1980, on entendait Sonic Youth, les Pixies, un peu de Rap et de musiques Electroniques. À ce moment-là, à part dans les émissions de Bernard Lenoir sur France Inter, on n’entendait pas ces genres de musique à la radio » (réf. Corlab).

Une radio qui ouvre l’horizon… et qui n’hésite pas à s’investir hors les murs. La musique est au cœur des actions de Canal B. Un engagement porté par ceux qui ont participé à la faire connaître. Yvan Penvern est l’un d’entre eux. Il commence comme bénévole à la technique pour l’émission Les Grignou. Par la suite, il devient le premier salarié de la structure et en est nommé directeur jusqu’en 2012. C’est avec lui que Canal B obtient des locaux au Grand Logis à Bruz : un espace qui intégrait l’asso à un ensemble culturel plus vaste (avec cinéma, médiathèque…). L’engagement dans Ferarock (Fédération des radios associatives musiques actuelles), c’est lui. Il est aussi l’un des fondateurs du Jardin Moderne : une asso rennaise qui est née de la volonté de proposer des lieux de répétitions et de concerts aux musiciens. Le monsieur a compté et il a longtemps été décrit de cette façon sur les pages de Canal B : « Yvan Penvern, [la voix rauque …] un sourire à faire pâlir d’envie Colgate, 1,82 m, cheveux noirs, yeux noirs. Spécialité : Mister History of a rock city. Activiste de la rockitude éclairée. Également directeur chef chef de la radio, le tout d’une main de fer dans un gant en matière moderne, souple, douce et qui sèche vite. » (réf. Ouest-France, 28/08/2012). Il est décédé depuis déjà plus de dix ans mais les chantiers qu’il a menés ont inscrit la radio dans la vie culturelle du territoire. Et pour ce faire, il était important d’être basé à Rennes…

En 2007, l’équipe salariée et les bénévoles déménagent dans les locaux du centre commercial du Gast, à Maurepas. Ils y restent jusqu’en 2015. Depuis neuf ans, c’est à la Maison des associations (6 cours des Alliés) qu’ils ont posé leurs valises. Côté technique, les changements sont tout aussi notables : le 13 mai 1992, Canal B passe officiellement au 94 MHz… ce qui veut dire qu’elle devient une fréquence autorisée. Pirate elle ne l’est plus, mais libre elle le reste. Pour le comprendre, il suffit de jeter un œil à la grille des programmes d’aujourd’hui : cinéma, musique, théâtre, littérature, écologie, féminisme… Il y a 59 émissions (55 produites par Canal B et 4 extérieures) qui vont des plus originales (94 degrés à l’ombre, Bonjouir, Gabuzomix, Gymnastique sonore) aux incontournables (Zion Highway, FTS, Ost Berlin, Les Ateliers radiophoniques), en passant par celles de la première heure (Blueshit, Kérozène, Lollypop, Un poco too much, Plume et Pinceau, Les Grignou)… Pour en avoir une idée plus précise, il ne faut pas hésiter à regarder le référencement sur le site Internet. La liste est foisonnante ! Et puis, il y a cette façon de présenter qui est propre à chacun. Les débutants, les anciens, les professionnels… tous se côtoient avec leur différence. Passé, présent… quelque soit la génération, une bonne moitié continue aussi à privilégier le direct… Certains d’entre eux apportent même des vinyles. Et oui… À l’heure du numérique, il est inévitable de préciser qu’aux débuts de Canal B cette galette était LE support pour passer de la musique. Thibaut Boulais – qui a été bénévole dès l’âge de 12 ans et président une douzaine d’années – en parle ici : « la radio me donnait 50 francs par mois pour aller acheter des 45 tours au magasin Rallye de Bruz. Je passais des heures dans le rayon pour ne pas me planter » (réf. 20 minutes, 2014). Quant au direct, il l’évoque aussi dans les manifestations extérieures comme les Pyjamas Parties, des soirées qui étaient organisées le dimanche dans l’ancien café-concert Les Tontons flingueurs : « c’était plein à chaque fois, les groupes venaient jouer en acoustique, Deus, Miossec, Benabar, Louise Attaque… De supers moments. » (Ouest-France, 2014). Les salariés continuent aujourd’hui de sortir des locaux. Ils proposent des projets d’éducation aux médias, des reportages (quotidienne d’info locale)… mais aussi des émissions qui prennent part aux manifestations culturelles de la Métropole.

Il y aurait encore beaucoup à dire sur Canal B tant elle garde cette aura propre aux radios libres. Avec 6 salariés et 98 bénévoles, la grille offre une diversité d’émissions qui ne pâlissent pas sous le poids des années. Tout se raconte sur Canal B. Il n’y a pas de règles… mais l’originalité, l’éthique et l’engagement accompagnent chaque projet. Artistes émergents, musique (tout genre confondu), parole donnée aux invisibles et à ceux qui agissent (pour l’environnement, pour le dynamisme du territoire et contre les discriminations)… « la radio curieuse » porte bien son nom. Dans une société devenue trop conformiste, elle favorise l’échange et l’esprit critique. Certes, les générations passent mais la liberté d’expression perdure. Comme quoi, même après 40 ans Canal B est toujours animée par la flamme de ses débuts !

Caroline Vannier

Sur le web :
https://www.canalb.fr/
https://www.facebook.com/CanalB
https://www.instagram.com/radiocanalb/?hl=fr

Interviews : les Cris de Gaïa (soirée organisée par Season of Sound) au Jardin Moderne (6 octobre 2023)

ZeWitches

1 – Genre musical : Nous avons défini “Tribal soul”, pour le côté son de notre tribu et aussi pour nos influences communes soul, blues, jazz.
2 – Membres du groupe : Laina Fischbeck , Ludivine Laude , Kenza El Hajjam , Léore Laennec.
3 – Date de création du groupe : 2018.
4 – Cadence des répétitions : Environ 1 fois par semaine, avec des résidences tout les 2 ou 3 mois.
5 – Combien de concerts par an ? Entre 10 et 15 , nous avons toutes des vies bien remplies d’autres carrières et vie de famille, aussi il nous est parfois difficile de nous consacrer autant que nous le souhaiterions à la musique .
6 – Des enregistrements à votre actif ? Un EP 5 titres en 2019 qui s’appelle “From Soul to Sky” et un tout nouveau qui devrait sortir en avril 2024 !
7 – Des autodidactes dans le groupe ? Nous sommes 3 à être vraiment sans formation musicale. La musique à un niveau professionnel est apparue dans nos vies avec le projet ZeWitches , comme quoi il est possible à n’importe quel moment de sa vie de décider de se dédier à une passion !
8 – Une référence musicale commune ? Nina Simone.
9 – Quand les voix sont l’instrument principal du groupe, quel est le point de repère ? Y a-t-il une voix directrice ? Il y a toujours un repère un peu rythmique, ne serait que dans le corps, un balancement, un pied ou une main qui marque le temps…
Pas toujours, dans ZeWitches nous faisons du 4 voix en polyphonie, et s’il y a un lead, nous en changeons parfois même dans le morceau !
10 – Votre musique est-elle propice à l’improvisation ? Même si les morceaux sont très structurés, il y a toujours des passages qui laissent place à l’improvisation. C’est aussi au cœur de nos souhaits sur le nouveau set live de faire plus de place à l’improvisation …

Sur le web :
https://www.facebook.com/profile.php?id=100063543578472

Baäst

1 – Genre musical : Vocal-electro. On est toutes multi-instrumentistes mais pour ce projet, on a décidé de mettre les voix au centre de tout.
2 – Membres du groupe : Juliette, Léna, Hélène, Marie, Claire et Victor qui intervient pour les samples.
3 – Date de création du groupe : 2019
4 – Cadence des répétitions : Une fois toutes les 2 semaines. On fait des résidences aussi.
5 – Combien de concerts par an ? C’est très inégal. On en fait pas beaucoup mais on se fixe toujours un gros objectif par an, comme un enregistrement. 6 – Des enregistrements à votre actif ? 2 titres en studio et une captation live.
7 – Des autodidactes dans le groupe ? Non.
Marie, Juliette et Léna : on a fait l’école du Pont supérieur (DNMSPM). Hélène : j’ai fait le conservatoire et j’ai continué en chant.
Claire : je pratique le piano et j’ai été formée à l’enseignement de la musique. Par contre, j’ai développé le chant moi-même.
8 – Une référence musicale commune ? Jeanne Added ! On est toutes tournées vers des artistes féminines. Björk aussi ! Camille en artiste française et Ariana Grande pour le hip-hop.
9 – La partie musique sample s’est-elle adaptée aux voix ou est-ce l’inverse ? Elle s’est adaptée aux voix. L’arrangement vocal est très en avant. Après, la structure est en constante évolution.
10 – Comment communiquez-vous sur scène ? Chantez-vous dans une configuration particulière ? On prévoit beaucoup de déplacements. On a bossé les transitions. On a pas du tout le droit à l’erreur : il faut se synchroniser avec la prod. On a chacune des diapasons. On est passé sur des micros sans fil : ça nous allège sur scène, ce qui nous permet de bouger.

Sur le web :
https://www.facebook.com/BaastVocalGroup

Louv

1 – Genre musical : Electro tribale.
2 – Membres du groupe : C’est un projet solo mais je tourne avec Alex, mon technicien son.
3 – Date de création du groupe : Le premier concert était en 2018.
4 – Cadence des répétitions : Elles dépendent beaucoup des dates de concert. J’ai de grosses sessions Louv. Ça fait partie de mon quotidien. Il y a aussi le travail de création qui se fait davantage l’hiver quand il y à moins de concerts.
5 – Combien de concerts par an ? Une quinzaine de dates.
6 – Des enregistrements à ton actif ? Oui, un EP 7 titres qui est sorti en 2021.
7 – Autodidacte ? Oui en partie. Au lycée, j’ai pris des cours de guitare et j’ai tout de suite eu envie de composer, d’écrire et de chanter. Plus tard, j’ai pris des cours de chant pour aller plus loin dans ma pratique, curieuse d’explorer tous les possibles. J’ai commencé à m’intéresser à l’électro et à mettre les mains dans les machines… Et puis l’école de la vie, les gens que j’ai rencontré m’ont aussi tellement appris. Mon travail repose beaucoup sur l’expérience et les rencontres. Dans Louv, les textes sont écrits en français puis traduit dans de nombreuses langues, mon envie c’est de chanter la diversité. J’ai par exemple travaillé avec un ami, Ibrahima, qui m’a aidé pour une traduction en Wolof (un dialecte du Sénégal) pour le morceau Gadday, ce qui veut dire s’exiler, un morceau en hommage aux réfugiés.
8 – Une référence musicale ? Björk.
9 – La musique est-elle un art éphémère ? Oui, pour la musique live. C’est un moment inscrit dans un présent. Pour l’artiste comme pour le public c’est du partage et en même temps, un instant avec soi, dans sa propre perception du moment. Après, les supports permettent de le faire durer, le remémorer, cela active le souvenir, l’émotion, un peu comme une madeleine de Proust.
10 – Chanter en français, est-ce une façon de contraster ou au contraire d’accentuer l’aspect onirique de ta musique ? J’aime bien aussi chanter dans ma langue, ça m’offre un autre champ d’écriture de jouer avec la poésie des mots. C’est aussi pour l’auditeur qui parle cette langue un accès direct au sens, au propos.

Sur le web :
https://www.facebook.com/louvmusicsolo
https://louv.bandcamp.com/album/ep-louv
https://ditto.fm/louv_de9a0dc5a1?fbclid=IwAR2wGwpf14t0OxMkAw1Cz2v-SbQtewgwRijaO-v1fHd6tr7SoPO-Ga9pPIs
https://www.youtube.com/channel/UCU5Znsp1kbuOFVMQP0LhC8g

Mass Murderers (octobre-novembre 2023)

Il y a des histoires qui ne laissent pas indifférents. Des récits portés par des voix si claires qu’il est difficile de ne pas les écorcher dans un article. Les musiciens de Mass Murderers font partie de ces protagonistes qui parlent du punk avec l’étincelle de leurs débuts. Ils n’ont rien oublié. La route, les groupes, l’énergie du live… Des moments forts et fugaces qu’ils continuent de vivre aujourd’hui. Les passionnés n’arrêtent jamais. Pour eux, le temps est un allié : il burine la matière, donnant du corps et de l’aisance à des morceaux sans âge. L’expérience vient à force de pratique. La scène, les heures passées en local de répète… Un fer de lance qui permet aux musiciens de se comprendre et d’aiguiser leur relation à l’instrument. Et puis, il y a la ferveur. Quand elle reste intacte, la soif de découverte ouvre la créativité. Les Mass M. sont faits de ce bois-là. Déjà près de trente ans que leur regard est rivé sur ce chemin des possibles. La musique… Une aventure sans fin qui fait vibrer un quotidien… Une passion d’adolescent qui est devenue celle de toute une vie…

Tout commence à Saint-Brieuc dans le courant des années 80. À cette époque, Laurent (chant/guitare) et Gaëtan (basse) ont 13-14 ans. Ils habitent dans le quartier Balzac. Du bitume, des barres d’immeubles, des terrains vagues… Le décor est planté. Ici, rien n’a bougé depuis 1960. Après la guerre, la population avait fortement augmenté et il fallait faire face à une pénurie de logements. La destruction de bâtiments insalubres et l’arrivée d’appartements tout confort marqua un tournant dans ce qui allait devenir l’un des principaux quartiers ouvriers de la ville. Oui, mais c’était il y a plus de vingt ans… Au beau milieu des années 80, le constat est sans appel : l’ensemble a mal vieilli et les familles s’entassent dans des espaces devenus trop petits. Les habitants naviguent dans un monde laissé à l’abandon, loin des idées initiales de désenclavement : « heureusement qu’on a fait de la musique, sinon on aurait fait de la prison comme tous les gars du quartier. » À peine sortis de l’enfance, Laurent et Gaëtan s’échappent par la musique. Ils fréquentent les Fest-Noz. Les deux amis grandissent aussi en plein essor des radios libres et des fanzines. Des médias qui leur permettent de découvrir des groupes qui mêlent metal, punk et hip-hop. C’est le déclic. Ils commencent à écouter des formations comme Poison Idea, Parabellum, The Business, The Oppressed, Blast… Et puis, il y a Camera Silens à Bordeaux qui explose sur la scène underground. Le groupe représente une forme d’urgence, de colère et d’authenticité*. Il porte les influences du punk anglo-saxon et de la mouvance skinhead des années 70. Deux courants que tout semble opposer… Et pourtant, c’est bien plus compliqué qu’il n’y paraît… Une courte explication s’impose. Les punks ont une apparence qui se veut en marge de la société (spike**, tatouages, Doc Martens…) : « oui, intervient Laurent. Mais ce n’était pas une mode. C’était un engagement. Cracher sur la société oui, mais sans se politiser. Avoir des idées, en parler… mais ne pas faire de la prophétie. » Les skinheads n’étaient pas politisés non plus. Ils se réclamaient du mouvement ouvrier et arboraient un crâne rasé. La dérive fasciste n’est apparue que dans les années 80 (elle a atteint son pic entre 1985 et 1995). Pour les musiciens, il est toujours très compliqué de les voir s’imposer dans la fosse : « les nazis, quand ils arrivent, il faut tout de suite réagir. Il faut les arrêter direct. » Camera Silens représente une période clivante. Des années où les courants musicaux émergent dans une société déstructurée qui va déjà trop vite. Le groupe n’a pas eu le temps de s’essouffler : il prend fin avec une série de casses et la cavale de leur chanteur, Gilles Bertin. L’homme est recherché pendant 30 ans pour le vol des coffres de la Brink’s. Il n’a tué personne. Tous ses camarades sont arrêtés mais aucun de ses amis ne dénonce. Déclaré mort par le tribunal, il se livre à la police en 2016, cinq ans après la naissance de son second fils. Une vie de gangster, proche d’un scénario à la Heat de Michael Man… mais sur ce coup-là, c’est la réalité qui s’exprime ! Et une vie de cavale n’a rien d’un film hollywoodien. Les deux mômes qu’étaient Laurent et Gaëtan n’ont jamais oublié cette histoire. Elle est indissociable du mouvement punk qu’ils ont connu : « Gilles Bertin en a fait un bouquin. C’est comme ça qu’il voulait laisser une trace. Il m’a même écrit un message quelque temps avant sa mort » s’étonne encore le chanteur des Mass Murderers.

« On est tous autodidactes. C’est de l’artisanat. » La musique, Laurent et Gaëtan s’y mettent dès qu’ils le peuvent. Ils y vont franchement ! C’est de cette façon qu’ils commencent, en essayant. Ils apprennent, font des erreurs, s’obstinent… Ils ne comptent pas les heures à jouer et à parler musique. Et puis, un jour, ils tombent sur Marco (guitare) qui est en répète. Avant leur rencontre, le musicien avait déjà intégré plusieurs formations. C’est avec Laurent qu’il monte un premier projet commun : Death Penalty et par la suite Slumlords. Gaëtan, lui, rejoint Brain Diggers. Le bassiste connaît un premier concert au Merzer, du côté de Guingamp. C’est un franc succès ! La salle est pleine ! Il n’en revient pas. Au fil des mois, les formations des 3 potes fusionnent pour devenir Mass Murderers. Côté batterie, c’est Rico qui prend place derrière les fûts. En quelques mois, ils écrivent et composent des morceaux qui font mouches. Le groupe démarre sur scène avec une fête de la musique en 1992… et à partir de là, tout s’accélère. Guidés par l’engouement local, les quatre musiciens bougent à Rennes en 1994 et investissent la Fun House comme lieu de répétitions. C’est aussi là-bas qu’ils font leur premier enregistrement. De cette expérience naît une démo : en 1995, elle sera réunie sur CD avec un 45 tours. Et puis, il y a les live… Les Mass M. rassemblent un public qui vient du punk et du metal : « on a écumé tous les cafés concerts de Bretagne ! Il y en avait beaucoup dans le Morbihan. On voyait qu’on avait fait un bon concert aux marques de chaussures au plafond » raconte Gaëtan. « On a joué un peu partout en Bretagne. On a aussi fait l’Antipode quand il était en travaux, dans le grenier » ajoute Laurent. Dès le milieu des années 90, ils partent en tournée à l’étranger. D’abord la Hollande et puis, la Suisse, la Belgique, l’Angleterre, la République Tchèque, l’Allemagne, la Pologne, la Slovaquie, l’Italie… L’album « DRIP » sort fin 1996, gravant dans le marbre des morceaux peaufinés dans un paquet de pays. Avec lui, naît Mass Prod : un label rennais qui s’est construit autour du groupe. Il produit cette première galette et par la suite, il continuera à promouvoir la musique punk. Les Mass Murderers fédéraient-ils ? Oui… et ils inspirent bon nombre de formations telles que Melmor (punk celtique), 22 Longs Riffs (auparavant La Zone), Urban Attack… Et toujours la scène ! Les propositions tombent et ils honorent de belles dates au BenevoloRock, au Carnavalorock et à l’hippodrome de Loudéac où ils font la première partie de Motörhead. Ils vont aussi à Bordeaux, une ville qui garde l’empreinte de Camera Silens : « on a même joué à la fac, là-bas ». Punk, ils le sont et ils refusent les étiquettes. Leur liberté, ils y tiennent. Ils tournent avec des groupes qui partagent les mêmes valeurs mais pas forcément le même style musical : « Call Jah Crew, par exemple. Ils faisaient du dub/reggae ! » Le quatuor joue et se lie d’amitié avec Sven et Shultz de Parabellum : « on les a rencontrés au Barracuda à Plérin. » Un groupe qu’ils écoutaient quand ils étaient mômes ! La boucle serait-elle bouclée ?

Le groupe s’arrête en 2000. Les musiciens prennent des chemins différents mais ils n’abandonnent pas la musique pour autant. Ils jouent ailleurs, développent d’autres techniques… Laurent rejoint les Ramoneurs de Menhirs : il s’occupera de leur son façade pendant 15 ans. Gaëtan continuera dans Bad Bad Seed (chant et basse). Un groupe qui sera marqué par le décès brutal de son batteur mais qui parviendra à reprendre les chemins de la scène avec le cogneur d’Urban Attack. Marco tiendra la guitare dans plusieurs formations dont les Trotskids : « C’est le premier groupe que j’ai vu en répète et c’est le dernier avec qui je suis monté sur scène. Ça fait 7 ans ! » Une reformation des Mass Murderers serait-elle possible ? Oui, d’abord en 2010 et puis là, en 2023… Depuis 13 ans, c’est Simon qui tape sur les fûts. Un musicien qu’ils ont rencontré tout jeune en concert et qui a su trouver sa place. Il vient du punk mais il se tourne aussi vers le hardcore avec des formations comme Hard Mind : « les univers sont proches. Il y a toujours eu une scène très intéressante qui mêle punk et hardcore » explique Laurent.

Aujourd’hui, l’aventure semble entamer un nouveau chapitre… Le vendredi 21 octobre 2023 au Carnavalorock, les Mass Murderers ont fait un retour très remarqué sur scène. Et ce qui devait être un concert unique donne de belles perspectives pour 2024 : un live le 3 février pour les 25 ans de Breizh Disorder (organisé par Mass Prod) à Rennes et deux autres dates en mai dans le Nord ainsi qu’à Brest. Cet élan pourrait-il s’accompagner de nouveaux morceaux ? Sait-on jamais… C’est tout ce qu’on peut souhaiter au public d’hier et de demain. Porter un message non politisé, anti-raciste… et se réunir autour de la musique… Des valeurs qu’il est bon d’entendre et que font résonner les Mass Murderers depuis presque trente ans. Dans un monde à la dérive, on a peut-être besoin de plus de punk qu’on ne le pense.

Caroline Vannier

Merci à l’équipe de Mass Prod pour la relecture
*Référence livre Trente ans de cavale, ma vie de punk (Gilles Bertin)
** Coupe de cheveux punk (cheveux dressés sur la tête)

Sur le Web :
https://www.facebook.com/profile.php?id=61552985310646
https://www.massprod.com/groupes/massmurd.htm
https://www.instagram.com/mass_murderers_BZH/?fbclid=IwAR0qODEQrMCaxq2HYLtoOd41MzLF5IQJlsqN0u8X-5-zK7ieSH7FDvd6tJE

Amandine, fondatrice du webzine Culture METAL (hiver 2022-2023)

Cheveux bouclés et tout de noir vêtue, Amandine Briche est une silhouette qui compte dans la scène Metal Rennaise. Les années passent et elle ne ralentit pas. Déjà 8 ans, qu’elle s’investit quasi quotidiennement dans le webzine Culture METAL. Ce média, elle l’a d’abord conçu sous la forme d’un site Internet puis elle l’a très vite étendu aux réseaux sociaux. Toutes les informations y sont traitées comme des brèves journalistiques : une ligne éditoriale claire, centrée sur l’actualité et la rétrospective. Dans ce zine consacré aux musiques extrêmes, pas de critiques d’albums et très peu d’interviews. La fondatrice a dédié son projet à l’instant présent. Elle tient à garder un ton neutre pour restituer au mieux la réalité des concerts.

Culture METAL prend ses racines dans le live. Sur le fond et la forme, le webzine a été pensé comme une passerelle entre les spectateurs et les groupes. Amandine a cette volonté d’ouverture : elle cherche à convaincre les gens de découvrir les artistes sur scène. Le Metal se vit en direct et c’est seulement à partir de là que chacun peut se faire son opinion. Elle, refuse de la donner dans ses articles. Elle ne veut en aucun cas influencer ses lecteurs : son but est de retranscrire ce moment qu’est le live pour susciter l’intérêt. Pour continuer à interpeller, elle invite même, ceux qui méconnaissent ce genre musical, à consulter la rubrique « Musiques extrêmes (reviews & interviews) ». Les galeries photos ne manquent pas non plus. Du texte à l’image, elle ne cesse d’apporter les preuves que les concerts de Metal sont singuliers et bien vivants.

En musique, tout se passerait-il sur scène ? C’est en tout cas dans cette direction qu’Amandine porte son regard. Hellfest, Motocultor, Metal Days… elle n’hésite pas à fouler les kilomètres pour aller à la rencontre du spectacle vivant. En France ou à l’étranger, les grands comme les petits festivals attisent sa curiosité. Chaque semaine, elle passe aussi au crible l’actualité des cafés concerts de la région Rennaise et Nantaise. Là encore, elle se déplace beaucoup. Avec son appareil photo, elle fige les mouvements des artistes depuis la fosse. Elle le fait au gré des demandes d’accréditations mais pas que… Oui, il lui arrive de venir les mains dans les poches pour s’imprégner de l’ambiance au milieu de la foule. Amandine est avant tout une passionnée et c’est ce qui fait la force de son webzine. Une appétence artistique qui la mène à élargir ses sujets… À l’image du festival Metal Culture, elle aime évoquer tous les arts qui s’inspirent de ces musiques de l’extrême. Un champ des possibles qu’elle continue d’agrandir, en couvrant des événements comme Court Métrange (cinéma) ou encore les TransMusicales (émergence de nouvelles formes artistiques).

Amandine Briche donne de son temps pour parler des artistes. Elle le fait sans contrepartie. Et c’est du travail ! Beaucoup de travail ! Son webzine est consulté, soutenu et connu par bons nombres de personnes. Un joli parcours animé par la seule volonté de partager. Le Metal est décidément servi par des gardiens et gardiennes bien dévoué·es.

Caroline Vannier

1 – Ta définition de la culture Metal ?
Je ne pense pas qu’il y ait de contours définis. Je verrai plutôt ça comme un système stellaire avec des planètes qui gravitent autour. Ce genre, on le trouve dans toutes formes d’art : cinéma, théâtre, littérature… On peut aussi voir ça comme un puzzle avec plein de pièces qu’on assemble.

2 – Combien de concerts et de festivals couvres-tu par an ?
À une époque, j’en ai fait beaucoup mais aujourd’hui, j’essaie d’en couvrir moins. Au début, c’était plusieurs fois par semaine, surtout à l’époque du Mondo Bizarro. Je ne vais pas que dans les festivals de musique, je fais aussi ceux dédiés au cinéma. Appeler le webzine Culture METAL était une façon d’intégrer plusieurs formes d’arts à cette musique. Ce que je préfère, ce sont les festivals pluridisciplinaires comme Metal Culture. Tous les ans, je couvre aussi le Hellfest, le Motocultor, les TransMusicales

3 – Entre les live report et les annonces de concerts, combien de temps consacres-tu par semaine à Culture METAL ?
Je suis au-delà des 35h ! Sans rire, c’est surtout que je ne compte pas mon temps. Je ne peux pas être en festival et écrire du contenu en même temps. Mon planning est donc irrégulier. Il y a aussi des moments où je vais moins en faire et d’autres où je vais enchaîner. Par contre, il y a au moins une publication par jour sur facebook, instagramm et le site Internet. J’essaie de proposer des contenus différents pour tous ces supports.

4 – Combien de personnes travaillent avec toi ?
Je ne compte pas. Je n’enferme pas les gens dans Culture METAL: ils sont libres d’aller et venir comme ils veulent. Il y a des contributeurs photos et reviews. Pour ma part, je ne fais pas du tout de critiques de groupes ou de films. Je préfère retracer l’histoire d’un groupe.

5 – Pour toi, qu’est-ce qu’un bon live report ?
Je ne sais pas. Pour être franche, je ne sais même pas si je fais du live report. Jusqu’au Covid, je mettais en place des galeries photos accompagnées d’un texte et de la set list. Maintenant, j’essaie de faire le live report de l’événement. Un bon live report doit monter la diversité d’un événement. Il ne faut pas non plus montrer ses sentiments, on axe sur des faits. Tout doit rester objectif.

6 – Et une bonne photo de concert ?
C’est à la fois artistique et technique. Il faut maîtriser la lumière. Je préfère les photos sombres que lumineuses : elles sont beaucoup plus proches de la réalité. Saisir l’instant aussi, c’est très important.

7 – À ton avis, quelle place à ton webzine aujourd’hui ? Quel rôle joue-t-il ?
Culture Metal a gagné en importance. J’ai des demandes d’accréditations de pas mal de festivals : j’en reçois par mails de la part de contacts que je ne connais pas. Culture METAL doit figurer dans des mailings lists, ce qui n’était pas le cas au début. Pour les groupes de musique, c’est différent. Ils ne connaissent pas toujours mon travail : ils cherchent beaucoup à se faire chroniquer, ce que je ne fais pas.

8 – Tes références musicales ?
J’ai des goûts très éclectiques qui vont de la musique Classique au Metal. Je suis tombée dans le Metal avec des musiciens comme Marilyn Manson, Nine Inch Nails, Ministry

9 – Et pour le cinéma ?
C’est surtout grâce aux festivals comme Travelling que je me suis vraiment intéressée au cinéma. Pour les réalisateurs, je peux citer des personnes comme James Cameron, Christopher Nolan et Peter Jackson. Pour les séries, j’aime bien ce que fait Ronald D. Moore. Il a commencé par Star Treck et Battlestar Galactica. Aujourd’hui, il est sur For All Mankind.

10 – Qu’est-ce qu’on te souhaite dans l’avenir ?
Rester en vie suffisamment longtemps pour continuer mon projet. Faire une compilation de tout ce que j’ai fait, mettre de l’ordre dans mes archives… Faire un livre sur toutes ces années !

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Simon, guitariste et compositeur chez Mantra (janvier 2023)

Sous ses faux airs de Tool, le groupe Mantra a su faire émerger un son Metal aux confins de l’expérimental. Un travail audacieux qui aboutit à des concept-albums aux accents chamaniques et métaphysiques. Cet aspect philosophique, les musiciens l’ont associé à une solide base harmonique : ils n’hésitent pas à jouer avec les hauteurs de notes et les temps pour façonner des morceaux qui frôlent parfois les 18 minutes. Simon Saint-Georges, guitariste et membre fondateur du groupe, est animé par cette volonté d’exploration. Chez lui comme chez ses camarades, la création n’a cessé de se muer en une quête d’ouverture et d’apprentissage.

« La dynamique humaine est très importante. On compose de façon collaborative. On se prend une semaine. On vit et on fait des sessions ensemble. On teste vraiment plein de choses. » Quand Simon évoque Mantra, il parle forcément de cette façon de travailler. Une méthode immersive, devenue essentielle, qui s’est développée au fur et à mesure du temps, au gré des contraintes de chacun. Rennes, Nantes, Paris… En dix ans, les quatre musiciens ont pas mal bougé ! Ils habitent dans des villes différentes et sont pris par un quotidien chargé : enfants, boulot, obligations… Par manque de temps, ils auraient pu se séparer mais ils n’ont jamais abandonné Mantra. Seul, l’un d’entre eux n’a pas pu poursuivre l’aventure. Sur ce coup-là, les kilomètres sont devenus un véritable frein : « oui, on a commencé avec Mathieu. Tout a démarré avec lui. C’était mon meilleur pote, il est parti vivre aux États-Unis », explique Simon. Depuis son départ, deux bassistes se sont succédé : Thomas (de novembre 2014 à mai 2020) puis Arthur. Les autres musiciens, eux, sont toujours présents. La distance – quand elle n’est pas insurmontable – n’est pas un problème. Mieux, le quatuor en fait un atout ! Les musiciens ont pris l’habitude de se retrouver dans la Creuse : un endroit à part, situé chez Pierre, le chanteur. Un lieu inspirant où ils se coupent du monde pour composer. Tout au long de l’interview, Simon n’aura de cesse de le répéter : « l’alchimie est primordiale, notamment entre moi et Gab (batterie), ça serait compliqué de faire autrement. » Pour Mantra, un groupe, c’est une force à l’unissons. Une vision de la musique commune qui transcende leur jeu sur scène. Pour le live, les musiciens ont repoussé leurs limites en s’ouvrant à d’autres formes d’arts… Depuis l’album Medium, ils sont officiellement accompagnés par Melvin Coppalle, un talentueux danseur de butô qui donne des airs de spectacle à leur concert. Hors du temps, poétique, tribal… leurs prestations ne laissent personne indifférent. En quelques années, Mantra est devenu un concept. Chez eux, la création induit une résonance… Elle interpelle.

Le musicien qu’est devenu Simon est né avec Mantra. Ce groupe lui offre une grande liberté d’expression mais il lui a aussi appris l’exigence. Chaque composition est pensée pour servir un fil conducteur que le quatuor a imaginé ensemble. Seul guitariste du groupe, Simon a une vision de son instrument très éloignée de celle des solistes : « ma guitare, je la mets au service du global. Je ne cherche pas à la mettre en avant ». Son jeu, il l’a développé en autodidacte. Il a découvert la gratte un peu par hasard, un été où il était « bloqué avec un genou en vrac ». Les premiers pas de l’adolescent sont hasardeux mais dès le départ, il cherche à créer : « aujourd’hui encore, c’est la composition qui m’intéresse. Encore plus que la scène. » Simon essaie, s’obstine et intègre de nouvelles pratiques. Aujourd’hui, sa maîtrise est indéniable mais il refuse que les prouesses techniques surpassent l’artistique : « dans le groupe, on s’intéresse tous à des choses complexes mais on a jamais voulu perdre en émotion. » Dans ses explorations, le guitariste s’adonne aussi à des projets solos : « dans Armunzen, je chante mais pas très bien. J’ai sorti deux albums que je ne diffuse pas. La musique est avant tout un moyen d’expression. » Pour aller plus loin, il utilise des outils MAO, une façon de comprendre et d’exploiter toutes les étapes de la création d’un album. Il avoue, d’ailleurs, avoir réalisé plusieurs arrangements pour Mantra. La musique l’intéresse à tous les niveaux mais il regrette de manquer de temps pour en écouter : « je ne le fais pas assez souvent. Quand je peux, j’aime bien le faire au casque, les yeux fermés. À vélo aussi. Sinon, sur la plateforme Spotify mais je reste très attaché à la notion d’album. » Leprous, Pink Floyd, les Doors… et Tool sont des références qu’il partage avec ses camarades : « Tool, on est quand même allés jusqu’en Autriche pour les voir en 2019. On est parti avec les 4 membres du groupe. Je ne le referai pas aujourd’hui, je ne prends plus l’avion pour des raisons écologiques mais ça reste un très bon souvenir. » Au gré des conversations, Simon fait part de projets futurs. La musique, il aimerait en faire son métier : « j’ai l’idée de m’y consacrer un jour complètement. J’aimerais proposer des ateliers d’écriture en musique et mettre mes compétences au service des autres. » Depuis 2014, il œuvre aussi en coulisses. Simon s’investit dans la programmation du festival les Lunatiques : « je participe à l’organisation. Je suis très sensibilisé au fait de prendre part à la scène de ma ville. On essaie de faire jouer des groupes qui ont une certaine esthétique. Les lumières et l’ambiance sont travaillées pour les mettre le mieux possible en valeur. »

Simon est guidé par la curiosité. Il a une soif d’apprentissage et un sens artistique qui le pousse à se dépasser. Mantra est un ancrage dans sa vie de musicien. Une base solide qui lui permet d’expérimenter sans retenue. La musique est un voyage immobile : Simon a ce pouvoir, celui de transporter n’importe qui dans cet univers qu’il a su créer. Avoir sa propre signature n’est pas donné à tout le monde. Bravo l’artiste.

Caroline Vannier

Sur le web :
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https://armunzen.bandcamp.com/album/jai-d-j-commenc-mourir

Émilie Simon

Sous ses airs de songe éveillé, la musique d’Émilie Simon résonne comme un conte. La compositrice imagine et interprète des balades oniriques depuis vingt ans. Des récits qu’elle est capable de dire et de redessiner à volonté. Cette partition, la créatrice l’a écrite en puisant dans tout ce qui constitue le monde terrestre. Elle part des sons, en détoure les contrastes et en fait ressortir l’infiniment grand. Poétesse de génie, ES – du nom de son dernier album – raconte en mots et en notes les mouvements de la vie. Pluie, glace, vent… les éléments organiques (et même les instruments) sont décomposés, travaillés et rehaussés d’une couleur unique. Un jeu de distillation subtil qui offre une approche immersive à des morceaux emprunts de merveilleux.

La technique est parfois faiseuse de magie. Pour Émilie Simon, l’utilisation des logiciels permet d’aller plus loin dans la création. Musicienne accomplie, elle cherche à modifier le timbre des instruments pour en obtenir une texture particulière. C’est avec cette approche augmentée qu’elle revient sur scène, ce vendredi 7 avril 2023. Dans une atmosphère quasi cyberpunk, Émilie Simon apparaît seule, dans une sphère spatiale. Un clavier à portée de main et la guitare en bandoulière, elle joue une intro puis enchaîne sur Un secret. Tout comme Flowers, Blue Light, Désert… les morceaux sont connus mais ils sonnent différemment. Pendant 1h30, ESva révéler les nouveaux arrangements de son répertoire. Une relecture de son travail qui n’arrive pas par hasard : il marque un anniversaire, celui de deux décennies de carrière. Coïncidence ou pas… c’est aussi à Rennes – tout comme son premier live à l’Ubu en 2003 – qu’elle présente son projet. Après une période de résidence, elle démarre sa tournée avec deux dates à L’Aire Libre, dans le cadre du Festival Mythos. Un seule sur scène. C’est avec ce format inattendu qu’elle revient après quelques années de silence. Pour cette performance, l’artiste utilise ses machines comme des instruments à part entière : tous les changements d’ambiances se font en live. La transition sur Il pleut est, par exemple, d’une remarquable poésie… un instant suspendu qui révèle toute l’habileté de la créatrice. ES mêle les sons en direct, avec une part d’improvisation. La voix, elle, semble agir comme une ligne directrice. Un socle mélodique que la dame n’hésite pas à confronter à son fameux bras électronique qui lui apporte des effets en temps réel. Oui, le savoir-faire est impressionnant mais l’émotion l’est tout autant. Une émotion qui passe par la voix. Entre les morceaux, l’artiste s’exprime peu mais quand elle le fait, les mots sont presque chuchotés : il s’en dégage une belle proximité qui abolit les frontières entre l’artiste et son public. Côté maîtrise, Émilie Simon a sa propre signature vocale. Elle est capable d’amplitudes qui lui valent d’être comparée à des artistes telles que Kate Bush ou Björk. Mais là encore, la technique n’est rien sans une dose d’inventivité. Le concert se conclut avec Fleur de saison et Swimming… Un finish éclatant et une salle conquise ! En une soirée, la compositrice a su insuffler une autre dimension au passé… Serait-ce une façon pour elle d’entamer un nouveau cycle créatif ? Il se dit qu’elle aurait deux albums en préparation. Rien d’étonnant… pour les passionnés, le cheminement artistique est un éternel recommencement… mais ES continuera les concerts seule ?

Affronter la scène en solo demande du cran. Émilie Simon n’en manque pas mais elle ne cesse de le dire : dans les coulisses, se cache toute une équipe. Ce soir d’avril 2023, elle cite plusieurs fois le nom de Cyrille Brissot : un compagnon de route qu’elle a rencontré à l’IRCAM (Institut de recherche et coordination acoustique/musique) et qui est là depuis ses débuts. C’est lui qui a créé le contrôleur, ce bras électronique qu’elle ne quitte plus. Il l’a aussi accompagné plusieurs fois en concert, en tant que musicien. De près ou de loin, Émilie Simon est entourée. Les gens qui font partie de son histoire résonnent dans sa musique : ceux qui l’accompagnent dans ses projets personnels mais aussi les réalisateurs pour qui elle a composé des bandes son. Au fil des années, sa filmographie s’est étoffée : en partie pour la France avec La Marche de l’Empereur, La Délicatesse, Quand je serai petit… mais aussi à l’international avec The Jesus Rolls et le génial John Turturro. Et puis, il y a toutes les autres rencontres. En duo, avec l’interprétation magistrale du mythique Blue Hotel aux côtés de Chris Isaak. Dans ses vidéos, sur Internet, avec des reprises – souvent au piano – d’Alain Bashung, de Wham! ou encore de Vanessa Paradis. Exploiter l’éventail des possibles tout en faisant parler ses émotions… La compositrice évoque ceux qu’elle a perdu avec Franky Knight. ES rend hommage à la vie de son compagnon : le talentueux producteur et ingénieur du son qu’était François Chevallier. Le monsieur a participé à ses albums mais il a aussi travaillé avec des groupes comme Aracade Fire et Coldplay. La musique a aussi ce pouvoir… Elle a la faculté de figer le temps pour ne pas oublier.

Émilie Simon est la créatrice d’un univers hybride tout en retenue. Elle raconte sans vraiment révéler. Oui, elle est de ceux qui laissent les portes ouvertes pour que chacun puisse imaginer ce qu’il a envie de voir. C’est une force… mais c’est surtout la marque d’une très grande artiste. Ses chansons sont des fragments de vie qui mêlent éléments organiques et émotions. Rêve ou réalité ? Peu importe. La poésie, elle, est bien là. Elle frôle le merveilleux et donne une note d’éternité à ces fresques musicales.

Caroline Vannier

Lofofora : interview de Phil Curty (basse)

Lofofora ne vieillit pas. Après plus de trente ans à écumer les scènes de France et d’ailleurs, le groupe n’a rien perdu de sa verve. Le discours est là. L’habileté aussi. Situé quelque part entre le hardcore, le punk et le metal, leur musique avance avec ce souffle qui sied si bien à cette fusion venue des années 90.

Riffs acérés, brèves envolées, ruptures diablement efficaces… Le son de Lofo a tout ce qu’il faut pour garder en éveil. Oui, l’énergie des instruments percute… mais la description serait incomplète sans évoquer l’interprétation. L’ensemble guitare, basse et batterie offre un formidable terreau aux textes de Reuno : des mots piqués à vifs qui disent l’absurdité de notre société. Envie de tuer, lames de fond, les gens,holiday in France, l’oeuf… un brun conteur, le frontman offre sa vision d’une civilisation qui va mal. Une liberté d’expression qu’il est de bon ton d’entendre… et qui ne laisse jamais place à la pensée rapide. Certes, les coups de gueules rugissent d’un live à l’autre mais l’argumentaire est référencé et réfléchi. Un franc parler qui place la musique au cœur de la société et qui inscrit d’emblée Lofo aux côtés de formations telles que Rage against the machine, Public Enemy ou les Bérurier Noir… Comme un affront aux maux de ce monde, le groupe trace sa route sans perdre ses valeurs. Mieux, il résiste et rassemble ! Le public des débuts ne les a jamais lâché. Bien au contraire. Trois décennies que cette histoire se poursuit et s’étoffe ! D’autres générations se sont greffées aux premières et il faut avouer que rares sont les déçus. Ceux qui les ont vu (et revus) clament haut et fort qu’un live de Lofo est gage de qualité. Les autres regardent avec surprise, en se disant comment ils ont pu passer à côté… Qu’est-ce qui explique une telle adhésion ? Peu présents sur Internet ou dans les médias, Lofo s’est fait une place dans les salles et les festivals. Oui, la qualité de jeu est inféniable… mais ce qui met tout le monde d’accord, ce sont les propos. Des propos qui s’accompagnent toujours d’actes forts. Le groupe propose souvent à des associations locales (ou à portée internationale comme Sea Shepherd) de les suivre en tournée pour y poser leurs stands. Ils n’hésitent pas non plus à faire des concerts de soutiens. Ils ont aussi fait le choix de travailler avec un label indépendant depuis 2005. Quand ils ont décidé d’y aller, l’aventure At(h)ome débutait pourtant à peine… Une démarche « combative et engagée » dans une structure à taille humaine qui rompt avec des années passées chez Virgin et BMG.

Les musiciens de Lofofora sont libres. Ils respectent leur public et c’est aussi pour cette raison qu’ils ne renonceront pas à leur créativité. Des reprises comme Madame Rêve (Alain Bashung) en est parfait exemple : un morceau formidablement interprété mais qui tranche avec ce qu’ils font. L’album électro-acoustique Simple appareil – sorti en 2018 – en est une autre illustration. Un projet très réussi mais qui reste éloigné des riffs énervés que proposent le groupe. Là encore, les actes prévalent plus que tout ! Le quator ne limitera pas sa démarche artistique, quitte à décevoir, quitte à vendre moins. Loin des réseaux sociaux, des plateformes et des majors, il faut croire que la musique ne se compte pas seulement en donnée économique. L’avenir serait-il dans les labels indépendants ? Quelle place accorder à l’art dans une société qui prône le plus souvent l’ultra capitalisme ? La question reste ouverte… Reuno (chant), Phil Curty (basse), Daniel Descieux (guitare), Vincent Hernault (batterie) montre qu’un autre chemin est possible. Merci messieurs. Il est bon de voir que dans un monde qui se disloque, des voix continuent de s’élever.

Entretien avec Phil Curty (basse) : interview du 20 janvier 2023 à Rennes

1 – En dehors de Lofofora, joues-tu dans d’autres groupes ?
À une époque, j’étais dans un autre groupe qui s’appelait Noxious Enjoyment. C’était à la fin des années 90 et c’est là que j’ai rencontré Daniel qui est devenu guitariste de Lofo.

2 – Combien de dates fais-tu par an ?
Au début de Lofo, on faisait 120 dates par an. Là, on est plutôt à 70/80 dates par tournée.

3 – En 2018, vous avez sorti Simple appareil. Un projet qui tranche avec ce que vous faites d’habitude. Était-ce une envie de longue date ?
On ne tient pas compte de ce que les gens veulent écouter. On s’est dit que ça serait bien de faire un album complètement électro-acoustique. C’était une façon de composer complètement différente, tout en restant fidèle à notre musique et aux textes.

4 – À l’heure des réseaux sociaux, comment communiquez-vous ?
On fait le minimum. On a un facebook mais on ne l’alimente pas tous les jours. Voilà pour les réseaux sociaux, le bouche à oreille fait la suite. On a une fan base depuis pas mal d’années. Il y a des gens qui ont lâché et qui reviennent nous voir plusieurs années après. D’autres qui n’ont jamais arrêté de suivre. La base est là.

5 – Comment composez-vous ?
On compose d’abord la zik. Reuno écoute et l’idée du thème vient au fur et à mesure. Ça reste un partage d’idées avant tout.

6 – La musique est-elle ton unique métier ?
J’ai la chance de ne faire que de la musique. Avant d’être musicien, j’ai travaillé dans l’industrie et je n’y reviendrai pas. Je ne me vois pas lâcher la basse.

7 – Toujours sur le label At(h)ome ?
On est là depuis la création du label. On a maintenant toute notre discographie chez eux. Les albums y sont tous disponibles.

8 – Quel regard portes-tu sur la musique en 2023 ? Est-ce plus dur pour les musiciens d’aujourd’hui d’en vivre ?
J’ai la chance de ne plus avoir à me poser ce genre de questions. Avec notre label et notre tourneur (depuis 15 ans), on est bien entourés. Je trouve qu’aujourd’hui, il y a plus de facilité pour enregistrer. On peut le faire de chez soi avec un minimum de matériel. A notre époque, c’était plus compliqué ! C’est aussi plus simple de se faire connaître mais il y a du monde. Beaucoup de monde ! Des bons groupes, il y en a énormément et il faut savoir faire la différence pour intégrer un label.

9 – Qu’est-ce qui fait que la passion est toujours là ?
La première des choses, c’est de faire de la musique avec des potes, avec des gens que tu apprécies et avec qui tu as envie de partager.

10 – À quelle fréquence joues-tu ?
J’ai besoin de jouer presque tous les jours. Je branche la basse le matin sur le PC et je joue presque toute la journée. Je fais des pause, je reprends, j’enregistre… En tournée, c’est différent. On joue régulièrement. On ne bosse pas de la même façon. Là, on travaille sur le prochain album et on a hâte de rentrer en studio. Ça sera le 11ème album de Lofofora : il devrait sortir début 2024.

Caroline Vannier

Sébastien Blanchais, passeur et musicien

Sébastien Blanchais trace sa route depuis plus de vingt ans. Responsable d’un label, disquaire, organisateur de concerts, musicien… Au fil des ans, il s’est fait passeur d’un style qui ne vieillit pas. Intermédiaire indispensable entre le public et le monde du rock, il a su insuffler un goût d’ailleurs à travers son magasin Rockin Bones et son label Beast Records. Quiconque jettera un œil rue de la Motte Fablet le comprendra : pousser les portes du shop de Seb ouvre l’horizon, à l’image d’un road trip musical. Un voyage immobile qui mène forcément quelque part en Europe, en Australie, aux États-Unis… mais aussi à Rennes avec sa scène locale. Ici ou à l’autre bout du monde… Rock d’hier et d’aujourd’hui, les années passent sans se ressembler… Un adage qui sied sans doute tout autant au genre musical qu’à celui qui le défend.

Le métier de disquaire a connu bien des tourments ces dernières années. Concurrence, Covid, dématérialisation… Face aux plateformes et aux géants du commerce, le magasin de Seb a pourtant tenu bon. Le public favoriserait-il une identité forte plutôt qu’une offre pléthorique ? Toujours est-il que la difficulté ne l’a jamais contraint. Même quand le vinyle a failli disparaître, le disquaire a continué de le vendre, tout comme il le fait aujourd’hui avec le CD et la cassette. Chez lui, tous les supports ont leur place à condition que l’enregistrement soit de qualité. Implanté depuis deux décennies dans une cour intérieure du centre ville, le lieu a du caractère… mais vous l’aurez compris, c’est surtout entre les murs que ça se passe. Le taulier connaît son affaire : il propose une vraie sélection et sait raconter l’histoire de ceux qui façonnent la musique. Rockin’ Bones offre une belle singularité dans le paysage local. Une particularité qui a pris le temps de se construire : « oui, tout s’est fait progressivement. J’ai monté le shop en 1998 avec très peu de choses. Avant de déménager ici, il était situé rue Legraverand (jusqu’en 2000). Depuis qu’on est là, ça s’est franchement agrandi ! On trouve pas mal de labels indépendants. On travaille sur la musique qu’on connaît. C’est devenu une adresse bien connue des musiciens de Rennes. » La façon dont Seb Blanchais exerce son métier est étroitement liée à ses aspirations musicales. Passionné avant tout, il parle à cœur ouvert des artistes qu’il défend. Ceux qui en mots et en musique savent dire le monde. Ceux qui ont su créer un son unique. Des références ? Le monsieur nomme volontiers des musiciens comme Spencer P. Jones, les Stooges, Alice Cooper, les Dead Boys mais aussi les Cramps, le Gun Club ou les Beasts of Bourbon : « des gens qui ont su restaurer des vieux styles. C’est grâce à eux que j’ai découvert les pionniers. » Les vieux styles justement… Rythm and blues, rockabilly, country… le rock est né d’influences multiples qu’il est bon de ne pas oublier. Des genres qui « n’ont pas toujours été populaires » et qui méritent d’être découverts par le public d’aujourd’hui. C’est ce que Seb invite à faire. En bon passeur, il transmet une musique qui a parfois été mal comprise. Mettre en avant, communiquer, véhiculer… il faut croire que du shop au label, il n’y a qu’un pas…

Dans l’imaginaire collectif, Londres est sans doute considérée comme la capitale du rock, de la pop et du punk. Pourtant, d’autres pays ont brillé dans ce domaine et continuent de le faire. L’Australie en est un parfait exemple : « à Melbourne, il doit y avoir 130 clubs. Chaque jour, il y a environ 400 groupes à y jouer. J’ai toujours préféré la musique australienne. En terme de talent, c’est juste incroyable. Tous les labels indépendants ont 6 ou 7 groupes qui viennent de là-bas.» Seb n’a pas seulement créé un label, il a réussi à instaurer « un pont avec l’Australie ». Représentés par Beast Records, ces artistes du bout du monde viennent parfois jouer à Rennes. Il arrive que les groupes d’ici traversent aussi l’océan pour participer aux « festivals Beast, au Tote (l’un des clubs légendaire de Melbourne) ». Aux côtés des musiciens rennais et australiens, on retrouve des formations américaines, allemandes, finlandaises, espagnoles, suisses… Le label ne connaît pas de frontières et c’est, en partie, ce qui fait sa force. Il est aussi le résultat d’un travail d’équipe : « il y a Romain dans le label qui s’occupe de tout l’administratif. Il fait aussi les affiches et pas mal de pochettes : sans lui, rien ne serait possible pour Beast ». Une belle façon de voir la musique mais qui serait incomplète sans les live…

Le label n’existe pas sans les concerts. Seb est disquaire mais pour lui l’enregistrement n’est pas une finalité : « le rock, ça reste un truc physique. Un concert à lui seul peut changer la couleur d’un disque. » Au fil des années, il n’a cessé d’abolir les frontières entre studio et spectacle vivant. Il n’enferme pas le rock : dès qu’il le peut, il le confronte à un public. Avec 250 albums à son actif (2-3 disques par mois / 15-20 par an), le label Beast Records fêtera ses 20 ans en 2023. Une année qui se passera sur scène à Rennes (dans des salles comme la Cité) mais aussi à Binic. Un anniversaire auquel participeront les groupes du label et… qui sait ? Crocodile Boogie aura peut-être l’occasion d’y jouer un ou deux sets ? Et pour cause, Seb y officie en tant que chanteur et même compositeur (il a aussi été frontman chez Head on). Deux formations talentueuses qui, elles aussi, ont su réinventer les classiques. Oui, la musique vue par Seb Blanchais offre décidément des ponts à tous les niveaux ! À travers son groupe, il n’est pas rare qu’il porte des morceaux d’artistes plus ou moins connus : des interprétations de qualité qui donnent encore une fois, du sens au live.

Chaque parcours est unique mais celui de Seb ne laissera personne indifférent. Porté par sa passion pour la musique, il a donné une nouvelle voix au rock : un point de vue et un sens de l’écoute qui fournissent une définition élargie du genre. Par ses initiatives, il a su rassembler des talents d’hier et d’aujourd’hui. Beast Records et Rockin’ Bones continueront d’écrire l’histoire de ce style pendant bien longtemps, c’est certain. Un dernier mot ? Ici et maintenant… le rock n’a peut-être jamais été si vivant.

Caroline Vannier

Sur le web :
https://www.beast-records.com/
http://rockinbones.fr/
https://www.facebook.com/headontheband
https://www.facebook.com/profile.php?id=100044100761333

Charly’s Angels (hiver 2022)

« Moi, j’avais jamais chanté. Samira n’avait jamais joué (batteuse d’origine). Nath à peine. C’était Isa la musicienne (groupe Tulaviok). On nous a dit que c’était super bien donc on a continué », explique Chrys. L’histoire de Charly’s Angels démarre comme une évidence. Un groupe formé pour une soirée hommage aux Ramones à la Fun House et le truc qui se produit, là, sur scène devant le public. Cette formation tribute n’a pas de nom, les musiciennes sont quasi débutantes… et pourtant leur presta crève déjà les planches ! Un souvenir qui revient comme un déclic pour certains : « C’est marrant. Je crois que j’y étais aussi en tant que spectateur », intervient Cyrille Chevalier (batteur actuel qui succède à Samira en 2008). Vingt-trois ans plus tard, Charly’s Angels est toujours là. La moitié des membres d’origine a changé mais l’essence reste la même. Après toutes ces années, le groupe continue à distiller ce son punk-rock piqué à vif qui sied si bien au live. Une musique qui aurait pu s’échapper des studios d’un Glasgow ou d’un London City… Allons bon, qui sait ? Ce chemin-là, ils l’emprunteront peut-être un jour… mais pour l’heure, c’est en Bretagne que ça se passe.

À Rennes, rares sont ceux qui n’ont jamais vu une affiche des Charly’s sur les murs des caf’ conc’ et des salles de concerts. Vingt-trois ans, c’est un sacré parcours pour un groupe ! Une passion pour la musique qu’ils vivent ensemble mais qu’ils ont du mal à expliquer. Pour mettre des mots sur une telle longévité, il faut forcément passer en revue la mémoire commune du groupe. Des noms fusent… Zaza, Samira et Xoff qui a pris la guitare au même moment que Jeff : « Oui, je suis arrivé en même temps que Christophe en 2002. Au départ, on a repris les titres faits par les filles et au fur et à mesure, j’ai composé de nouveaux morceaux. » Chrystèle Gérard (chant) et Nathalie Toulgoat-Fabre (basse) qui sont les membres fondatrices évoquent les souvenirs des débuts. Passée la minute de réflexion, elles commencent par l’année 2000 : « le premier enregistrement ! C’est Bruno qui s’en est occupé (Mondo Bizarro, groupes Gunners, Trotskids…). On a fait un ou deux morceaux à la Fun et une partie chez Nath. Oui, c’était chez moi, enchaîne l’intéressée. On avait tout monté par la fenêtre et par l’échelle de meunier. Un vrai studio sauvage ». De cette expérience naît S/T, un EP autoproduit. Vont suivre SPLIT SP (avec le groupe Happy Kolo en 2001), All I Want (2009) et plus récemment, le vinyle Romance (2019). Pour les visuels, les musiciens font presque tout en mode Do it yourself sauf le logo et les premières pochettes qui ont été réalisés par Dimitri HK (créateur, tatoueur, groupe Happy Kolo…). « On connaissait pas mal de monde dans le milieu et c’est vrai qu’on a eu pas mal d’opportunités pour jouer et enregistrer » précise Chrys. Les concerts, il y en a eu un peu partout : en Bretagne, en région parisienne et dans des squats comme République (dans l’Est). Mais… en plus de vingt ans, le groupe a-t-il connu des interruptions ? « Moi, quand j’étais en cloque, j’ai pas tourné pendant trois ans », précise Nath. « Il y a aussi eu le festival des Bals Sauvages. Nath n’a pas pu y aller. C’est Carole qui l’a remplacée. Elle a appris les morceaux à la dernière minute dans le camion », se rappelle Chrys. Les enfants, le boulot… Le quotidien est là et il est parfois compliqué de tout concilier. Même pour répéter, il faut s’organiser : le groupe se retrouve le plus souvent le dimanche au Jardin Moderne, un jour qui colle à peu près avec le planning de chacun. « Oui, on aurait aimé faire plus de concerts, avoue Nath. C’est vrai que c’est pas toujours simple à gérer… Je bosse souvent le week-end et je ne peux pas quitter mon boulot comme je peux ». Chrys, elle, est professeure de danse et elle a réussi à passer son diplôme sans sacrifier le chant : « Musique, danse et formation. Oui, ça a été des années bien remplies. » Elle s’arrête un moment puis reprend : « La musique, c’est un sacré plus dans notre vie mais ça n’a jamais pris plus de place parce qu’on a privilégié nos familles. » Jeff acquiesce. Cyrille esquisse un sourire : « J’ai amené ma fille une fois en concert avec un casque sur la tête. Elle m’a regardé assise sur son tabouret, près du bar. »

Le live justement… c’est pour ce moment que les musiciens se lancent dans un groupe. Un instant clé qui ne trompe pas. Pas de filtre possible ! Oui, c’est bien devant un public qu’on reconnaît la qualité d’un jeu. Celui des Charly’s Angels est clair : une maîtrise indéniable mais qui n’étouffe jamais l’efficacité des riffs. La voix, les instruments… tout insuffle l’urgence de l’instant. Un son qui se vit en concert et qui parle à un paquet de générations ! Depuis 2009, le groupe figure aussi sur le label Mass Prod : quand on sait que la maison porte le punk depuis vingt-six ans, c’est une sacrée reconnaissance. Oui, de bons musiciens, ils le sont… mais qui étaient-ils avant de toucher à un instrument ? Ils ont tous été clairement influencés par les groupes qu’ils ont découverts à l’adolescence. Pour Cyrille : ACDC, Motörhead, Peter and the Test Tube Babies, Joy Division… Pour Jeff : Rockabilly, Stray Cats, Social Distortion, Meteors, Rancid… Pour Chrys : les Ramones et Motörhead. Pour Nath : Cold wave, Pop rock anglaise, Metallica, Siouxsie, The Cure, Joy Division, U2, ACDC, Motörhead, Depeche Mode… Côté pratique, les Charly’s sont tous autodidactes. Seul Cyrille a repris quelques cours de batterie (depuis 4 ans) pour approcher de nouvelles techniques et se donner une discipline de travail. Mais les années qui précèdent, il les a passées en relevant les manches et en intégrant pas mal de groupes : Green Fish, les Spationautes, TV Men, DeafBrood, 19 Hell… Jeff aussi a joué dans d’autres formations comme Gotham (psycho) de 1999 à 2007 : « J’étais au chant avec un peu de guitare rythmique. On a même fait un concert commun avec les Charly’s Angels ». Nath et Chrys ont débuté avec les Charly’s qu’elles n’ont jamais quittés. Un groupe qu’elles ont créé avec Samira et Isa… et qui poursuit sa route avec classe et simplicité. Deux adjectifs qui pourraient tout aussi bien leur correspondre.

La scène, les répétitions… cette passion pour la musique est restée comme un fil incassable dans un quotidien bien occupé. Boulot, famille… Ils avaient des raisons de ralentir mais ils n’ont rien lâché. Charly’s Angels continue… et continuera à donner de la voix pour bien longtemps. Les vrais passionnés n’arrêtent jamais, c’est bien connu… et ces quatre-là en sont un parfait exemple.

Caroline Vannier

Interview spécial vinyle Romance

1 – Est-ce que l’enregistrement se pense différemment pour une sortie vinyle ?

Il y a beaucoup de groupes qui parlent de projet, de concept. Pour nous, l’envie était de retranscrire un son le plus proche de ce que l’on donne en live, auquel on pourrait associer un beau produit. Quoi de plus beau qu’un vinyle ?
L’idée était arrêtée depuis longtemps sur la pochette et la couleur du vinyle.

2 – Comment avez-vous travaillé pour garder cette énergie Punk-rock ?

Nous avons travaillé avec Mathieu, chaudement recommandé par Guilhem des Sleepwalkers.
Nous avons enregistré dans une ferme à Montauban de Bretagne, c’était calme jusqu’à ce que l’on branche les amplis… Mathieu a vite compris nos envies et le son que l’on souhaitait. Puissant, dynamique, pas trop propre, qui transmette l’énergie que l’on dégage sur scène. Il était à l’écoute et de très bon conseil. Tout était dans la boîte en une semaine pour les instruments, nous avons placé les voix plus tard, afin de jongler avec les emplois du temps de chacun.

3 – Du visuel, au studio, en passant par le pressage… Avez-vous tout maîtrisé de A à Z ?

Tout est Homemade, de la conception de la pochette, 12 titres dont 11 originaux (une seule reprise), la recherche du studio, le choix du pressage, … et même le clip vidéo.
À la fois, deux albums en 20 ans, on peut dire qu’on prend le temps de la réflexion. Un titre par an, donc prochain album en 2029.
Mass Prod nous a soutenus et conseillés. Sans oublier Mathieu pour le master et le mix, une fois l’enregistrement bouclé.
Ce nouveau disque est totalement autoproduit avec un crowd funding. Merci à nos généreux donateurs sans qui nous n’aurions pas pu faire aboutir cet album dont nous sommes fiers.

4 – Choisir le vinyle comme support, était-ce une façon de marquer les 20 ans du groupe ?

C’était surtout un caprice de Jeff qui voulait un vinyle rouge, grand fan de vinyle. On a fait d’une pierre deux coups.

5 – Les 12 titres qui figurent sur les 2 faces sont-ils tous des morceaux récents ?

Le premier album est sorti en 2009. Certains ont été écrits il y a déjà un certain temps, mais c’est surtout à partir de 2016 que la plupart des morceaux ont été finalisés.

6 – Le mot de la fin ?

Longévité pour un groupe dont 3 des membres sont présents depuis 2002. On compte bien continuer, surtout garder notre énergie. Le second album Romance était bien plus sauvage que le premier. Imagine le troisième…
On est tous fiers de cet album que nous n’avons pas beaucoup joué sur scène et pour cause, sortie en avril 2020…

Sur le web :
https://www.facebook.com/thecharlysangels
https://charlysangels.bandcamp.com/album/romance

Louis Carrese, 5 ans de présidence au Jardin Moderne (décembre 2021)

Quand on lui parle des années passées à la présidence du Jardin Moderne, Louis hausse les épaules et avoue : « je ne sais pas, je n’ai pas compté ». Occupé, il l’a été. Investi, c’est indéniable ! Passage à une codirection, changement de régisseur, projet égalité des genres… Il en a suivi des dossiers mais à quelle place exactement ? En quoi consiste le rôle d’un président ?

Le Jardin Moderne est une association de loi 1901 composée d’un comité d’administration (CA) et d’un bureau. Les membres élus sont bénévoles et se retrouvent au minimum une fois tous les mois et demi. Ils font partie d’un maillage démocratique qui nécessite la validation de certaines orientations impulsées par les salariés de la structure. Ils écoutent, débattent, s’informent, votent et participent : « il y a des réunions, des groupes de travail, des veilles guidées (actualités, informations, mails)… », explique Louis tout en précisant que « ça reste une activité bénévole. ». Certes, le temps d’engagement diffère selon les postes et les envies de chacun… mais le ou la président(e) est forcément plus sollicité(e) que les autres : « on endosse un rôle d’employeur. J’ai participé à la mise en place de la codirection et à des recrutements. Pour les urgences comme les crises RH au début du confinement en 2020. Là aussi, il y a forcément un investissement ». Mais ce n’est pas tout…. il y a également l’image, celle d’une position plus exposée qui devient quasi politique : « il y a deux aspects. Une partie est plutôt dirigée vers l’intérieur et là, c’est plus une figure de confiance pour les bénévoles et les salariés. Et l’autre qui est tournée vers l’extérieur avec une vie sociale qui change un peu. On devient une figure du Jardin à l’extérieur, un personnage public. » Les prises de parole « font aussi partie du job » lors des moments forts comme les assemblées générales : « ça s’apprend sur le tas mais j’ai un peu l’habitude de tenir des réunions au boulot. Ça aide. » D’accord, ça c’est pour l’aspect pratique… mais qu’en est-il de la personne ? Qu’est-ce qui a mené Louis Carrese à la présidence ?

« Je suis parti de Paris qui me faisait chier. Quand je suis arrivé à Rennes, j’ai gardé le même boulot mais je me suis rendu compte qu’il faisait chier aussi. Je voulais faire autre chose à côté et c’est comme ça que je suis rentré comme bénévole au Jardin », une explication simple, cash et précise… et la suite qui coule presque de source… Après un an de CA, Louis devient vice-président puis président : « c‘est avec Hélène – présidente de 2010 à 2016 – que j’ai commencé à en discuter. Elle cherchait quelqu’un pour prendre sa suite. Je suis arrivé à un moment où il y avait besoin de renouvellement dans la gouvernance associative. Il y avait aussi une envie de changement, de remettre de l’élan dans tout ça. Les gens me connaissaient déjà au Jardin, je faisais beaucoup de soirée en tant que bénévole. » Et d’ailleurs, faut-il être dans le milieu pour assurer cette fonction ? Niveau professionnel, Louis est assez éloigné du monde de la culture. Il est freelance dans l’informatique : « je produis des logiciel », précise-t-il. Il lui arrive de collaborer avec des acteurs locaux comme Canal B pour qui il a réalisé le site Internet avec Marc Blanchard au graphisme . Il a aussi dépanné et donner des conseils en informatique (bénévolement) aux salariés du Jardin. Précédemment, il a également évoqué une prise de parole facilité par son travail… mais les liens s’arrêtent là. Pourtant… il a très vite pris ses marques à la présidence. Un paradoxe ? En quelque sorte… C’est peut-être justement ce qui explique cette expérience réussie : venir de l’extérieur permet d’avoir le recul nécessaire pour écouter, comprendre, soutenir et apporter un autre œil sur la structure. Oui… mais ça, c’est sans compter la passion ! Au-delà d’un lieu associatif, le Jardin Moderne est un terreau pour les musiciens… et c’est une des raisons pour laquelle Louis en a franchi les portes.

Louis est venu au Jardin pour les concerts mais aussi pour répéter. Il est musicien depuis l’enfance. À l’âge de 10 ans, il apprend à jouer du saxophone : « je viens d’une famille de musiciens. Quand je suis parti de Marseille pour Paris, c’était plus compliqué de faire du saxo. Je me suis mis à la MAO, au clavier… et j’ai récupéré une basse. J’adore quand un instrument groove mais c’est aussi plus facile de trouver un groupe quand on est bassiste que saxophoniste. » Tout le monde n’est pas obligé de toucher à un instrument pour en parler mais il y a parfois des détails qui ne trompent pas. Louis sait profiter des concerts mais il a vrai regard sur ceux qu’il écoute : « j’aime comprendre la démarche de création. Quand je vais voir un groupe, c’est ça que je cherche à repérer. Peu importe le style. » Quand on le lance sur le sujet, il peut citer une dizaine de références. Des artistes vus en live… ou bien des albums piochés au hasard des rayonnages : « Peter KernelI’ll die rich at your funeral White death and black heart (2011), c’est eux qui m’ont mis dans les musiques plus « rock », c’est du coup avec eux que j’ai commencé à comprendre la prog d’assos comme KFuel et que je suis rentré dans le circuit des caf’conc’ à Rennes. GabléTropicoolJolly trouble (2016), ils représentent assez exactement la phrase « on peut être sérieux dans la déconne ». GRP All-starThe sidewinderGRP All-star big band (1992),  j’ai grandi dans un milieu de jazz qui groove et que ça a le goût d’une madeleine (fourrée à la confiture (avec supplément chantilly)). HausmeisterPumerHausmeister (2000), parce que c’est du bricolage de blips et de blops et que ça fonctionne, et parce que c’est ma pépite des disques empruntés au hasard dans les médiathèques. Joao BoscoDois mil e indioGagabiro (1984) parce qu’on entend rarement un sourire aussi distinctement sur un enregistrement. »

Six… presque sept ans passés au comité d’administration… et cinq à la présidence. En mai 2022, Louis quittera ses fonctions lors de la prochaine assemblée générale. Le président – redevenu simple élu au CA – a laissé son siège à Marilyn Berthelot en juin 2021 mais il part serein avec des souvenirs plein la tête. Il est clair que Louis Carrese laissera une empreinte de son passage. Oui, une empreinte… mais il ne faut pas trop lui répéter. Pour lui, l’engagement associatif respire l’abnégation : « le Jardin, c’est un renouvellement permanent et je pense que c’est là-dessus qu’il faut continuer à travailler. » Serait-ce là le vrai sens de la démocratie ?

Caroline Vannier