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Des histoires qui se vivent

Mass Murderers (octobre-novembre 2023)

Mass Murderers (octobre-novembre 2023)

Il y a des histoires qui ne laissent pas indifférents. Des récits portés par des voix si claires qu’il est difficile de ne pas les écorcher dans un article. Les musiciens de Mass Murderers font partie de ces protagonistes qui parlent du punk avec l’étincelle de leurs débuts. Ils n’ont rien oublié. La route, les groupes, l’énergie du live… Des moments forts et fugaces qu’ils continuent de vivre aujourd’hui. Les passionnés n’arrêtent jamais. Pour eux, le temps est un allié : il burine la matière, donnant du corps et de l’aisance à des morceaux sans âge. L’expérience vient à force de pratique. La scène, les heures passées en local de répète… Un fer de lance qui permet aux musiciens de se comprendre et d’aiguiser leur relation à l’instrument. Et puis, il y a la ferveur. Quand elle reste intacte, la soif de découverte ouvre la créativité. Les Mass M. sont faits de ce bois-là. Déjà près de trente ans que leur regard est rivé sur ce chemin des possibles. La musique… Une aventure sans fin qui fait vibrer un quotidien… Une passion d’adolescent qui est devenue celle de toute une vie…

Tout commence à Saint-Brieuc dans le courant des années 80. À cette époque, Laurent (chant/guitare) et Gaëtan (basse) ont 13-14 ans. Ils habitent dans le quartier Balzac. Du bitume, des barres d’immeubles, des terrains vagues… Le décor est planté. Ici, rien n’a bougé depuis 1960. Après la guerre, la population avait fortement augmenté et il fallait faire face à une pénurie de logements. La destruction de bâtiments insalubres et l’arrivée d’appartements tout confort marqua un tournant dans ce qui allait devenir l’un des principaux quartiers ouvriers de la ville. Oui, mais c’était il y a plus de vingt ans… Au beau milieu des années 80, le constat est sans appel : l’ensemble a mal vieilli et les familles s’entassent dans des espaces devenus trop petits. Les habitants naviguent dans un monde laissé à l’abandon, loin des idées initiales de désenclavement : « heureusement qu’on a fait de la musique, sinon on aurait fait de la prison comme tous les gars du quartier. » À peine sortis de l’enfance, Laurent et Gaëtan s’échappent par la musique. Ils fréquentent les Fest-Noz. Les deux amis grandissent aussi en plein essor des radios libres et des fanzines. Des médias qui leur permettent de découvrir des groupes qui mêlent metal, punk et hip-hop. C’est le déclic. Ils commencent à écouter des formations comme Poison Idea, Parabellum, The Business, The Oppressed, Blast… Et puis, il y a Camera Silens à Bordeaux qui explose sur la scène underground. Le groupe représente une forme d’urgence, de colère et d’authenticité*. Il porte les influences du punk anglo-saxon et de la mouvance skinhead des années 70. Deux courants que tout semble opposer… Et pourtant, c’est bien plus compliqué qu’il n’y paraît… Une courte explication s’impose. Les punks ont une apparence qui se veut en marge de la société (spike**, tatouages, Doc Martens…) : « oui, intervient Laurent. Mais ce n’était pas une mode. C’était un engagement. Cracher sur la société oui, mais sans se politiser. Avoir des idées, en parler… mais ne pas faire de la prophétie. » Les skinheads n’étaient pas politisés non plus. Ils se réclamaient du mouvement ouvrier et arboraient un crâne rasé. La dérive fasciste n’est apparue que dans les années 80 (elle a atteint son pic entre 1985 et 1995). Pour les musiciens, il est toujours très compliqué de les voir s’imposer dans la fosse : « les nazis, quand ils arrivent, il faut tout de suite réagir. Il faut les arrêter direct. » Camera Silens représente une période clivante. Des années où les courants musicaux émergent dans une société déstructurée qui va déjà trop vite. Le groupe n’a pas eu le temps de s’essouffler : il prend fin avec une série de casses et la cavale de leur chanteur, Gilles Bertin. L’homme est recherché pendant 30 ans pour le vol des coffres de la Brink’s. Il n’a tué personne. Tous ses camarades sont arrêtés mais aucun de ses amis ne dénonce. Déclaré mort par le tribunal, il se livre à la police en 2016, cinq ans après la naissance de son second fils. Une vie de gangster, proche d’un scénario à la Heat de Michael Man… mais sur ce coup-là, c’est la réalité qui s’exprime ! Et une vie de cavale n’a rien d’un film hollywoodien. Les deux mômes qu’étaient Laurent et Gaëtan n’ont jamais oublié cette histoire. Elle est indissociable du mouvement punk qu’ils ont connu : « Gilles Bertin en a fait un bouquin. C’est comme ça qu’il voulait laisser une trace. Il m’a même écrit un message quelque temps avant sa mort » s’étonne encore le chanteur des Mass Murderers.

« On est tous autodidactes. C’est de l’artisanat. » La musique, Laurent et Gaëtan s’y mettent dès qu’ils le peuvent. Ils y vont franchement ! C’est de cette façon qu’ils commencent, en essayant. Ils apprennent, font des erreurs, s’obstinent… Ils ne comptent pas les heures à jouer et à parler musique. Et puis, un jour, ils tombent sur Marco (guitare) qui est en répète. Avant leur rencontre, le musicien avait déjà intégré plusieurs formations. C’est avec Laurent qu’il monte un premier projet commun : Death Penalty et par la suite Slumlords. Gaëtan, lui, rejoint Brain Diggers. Le bassiste connaît un premier concert au Merzer, du côté de Guingamp. C’est un franc succès ! La salle est pleine ! Il n’en revient pas. Au fil des mois, les formations des 3 potes fusionnent pour devenir Mass Murderers. Côté batterie, c’est Rico qui prend place derrière les fûts. En quelques mois, ils écrivent et composent des morceaux qui font mouches. Le groupe démarre sur scène avec une fête de la musique en 1992… et à partir de là, tout s’accélère. Guidés par l’engouement local, les quatre musiciens bougent à Rennes en 1994 et investissent la Fun House comme lieu de répétitions. C’est aussi là-bas qu’ils font leur premier enregistrement. De cette expérience naît une démo : en 1995, elle sera réunie sur CD avec un 45 tours. Et puis, il y a les live… Les Mass M. rassemblent un public qui vient du punk et du metal : « on a écumé tous les cafés concerts de Bretagne ! Il y en avait beaucoup dans le Morbihan. On voyait qu’on avait fait un bon concert aux marques de chaussures au plafond » raconte Gaëtan. « On a joué un peu partout en Bretagne. On a aussi fait l’Antipode quand il était en travaux, dans le grenier » ajoute Laurent. Dès le milieu des années 90, ils partent en tournée à l’étranger. D’abord la Hollande et puis, la Suisse, la Belgique, l’Angleterre, la République Tchèque, l’Allemagne, la Pologne, la Slovaquie, l’Italie… L’album « DRIP » sort fin 1996, gravant dans le marbre des morceaux peaufinés dans un paquet de pays. Avec lui, naît Mass Prod : un label rennais qui s’est construit autour du groupe. Il produit cette première galette et par la suite, il continuera à promouvoir la musique punk. Les Mass Murderers fédéraient-ils ? Oui… et ils inspirent bon nombre de formations telles que Melmor (punk celtique), 22 Longs Riffs (auparavant La Zone), Urban Attack… Et toujours la scène ! Les propositions tombent et ils honorent de belles dates au BenevoloRock, au Carnavalorock et à l’hippodrome de Loudéac où ils font la première partie de Motörhead. Ils vont aussi à Bordeaux, une ville qui garde l’empreinte de Camera Silens : « on a même joué à la fac, là-bas ». Punk, ils le sont et ils refusent les étiquettes. Leur liberté, ils y tiennent. Ils tournent avec des groupes qui partagent les mêmes valeurs mais pas forcément le même style musical : « Call Jah Crew, par exemple. Ils faisaient du dub/reggae ! » Le quatuor joue et se lie d’amitié avec Sven et Shultz de Parabellum : « on les a rencontrés au Barracuda à Plérin. » Un groupe qu’ils écoutaient quand ils étaient mômes ! La boucle serait-elle bouclée ?

Le groupe s’arrête en 2000. Les musiciens prennent des chemins différents mais ils n’abandonnent pas la musique pour autant. Ils jouent ailleurs, développent d’autres techniques… Laurent rejoint les Ramoneurs de Menhirs : il s’occupera de leur son façade pendant 15 ans. Gaëtan continuera dans Bad Bad Seed (chant et basse). Un groupe qui sera marqué par le décès brutal de son batteur mais qui parviendra à reprendre les chemins de la scène avec le cogneur d’Urban Attack. Marco tiendra la guitare dans plusieurs formations dont les Trotskids : « C’est le premier groupe que j’ai vu en répète et c’est le dernier avec qui je suis monté sur scène. Ça fait 7 ans ! » Une reformation des Mass Murderers serait-elle possible ? Oui, d’abord en 2010 et puis là, en 2023… Depuis 13 ans, c’est Simon qui tape sur les fûts. Un musicien qu’ils ont rencontré tout jeune en concert et qui a su trouver sa place. Il vient du punk mais il se tourne aussi vers le hardcore avec des formations comme Hard Mind : « les univers sont proches. Il y a toujours eu une scène très intéressante qui mêle punk et hardcore » explique Laurent.

Aujourd’hui, l’aventure semble entamer un nouveau chapitre… Le vendredi 21 octobre 2023 au Carnavalorock, les Mass Murderers ont fait un retour très remarqué sur scène. Et ce qui devait être un concert unique donne de belles perspectives pour 2024 : un live le 3 février pour les 25 ans de Breizh Disorder (organisé par Mass Prod) à Rennes et deux autres dates en mai dans le Nord ainsi qu’à Brest. Cet élan pourrait-il s’accompagner de nouveaux morceaux ? Sait-on jamais… C’est tout ce qu’on peut souhaiter au public d’hier et de demain. Porter un message non politisé, anti-raciste… et se réunir autour de la musique… Des valeurs qu’il est bon d’entendre et que font résonner les Mass Murderers depuis presque trente ans. Dans un monde à la dérive, on a peut-être besoin de plus de punk qu’on ne le pense.

Caroline Vannier

Merci à l’équipe de Mass Prod pour la relecture
*Référence livre Trente ans de cavale, ma vie de punk (Gilles Bertin)
** Coupe de cheveux punk (cheveux dressés sur la tête)

Sur le Web :
https://www.facebook.com/profile.php?id=61552985310646
https://www.massprod.com/groupes/massmurd.htm
https://www.instagram.com/mass_murderers_BZH/?fbclid=IwAR0qODEQrMCaxq2HYLtoOd41MzLF5IQJlsqN0u8X-5-zK7ieSH7FDvd6tJE

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