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Des histoires qui se vivent

The Lighthouse (2019) : Robert Eggers

The Lighthouse (2019) : Robert Eggers

Comment traduire la peur au cinéma… Quelle forme revêt-elle lorsqu’elle est poussée à l’extrême, en situation d’isolement ? Avec The Witch – son premier film –, Robert Eggers place une famille à l’écart de la société. La foi, la sorcellerie, le diable… Ancrés dans leurs croyances, les protagonistes vont très vite être confrontés à leur propre folie. Dans The Lighthouse, le schéma est identique mais le réalisateur va mettre en scène un binôme qui ne se connaît pas. Dans ce contexte, est-il possible se faire confiance ? Comment ne pas douter l’un de l’autre ?

The Lighthouse raconte « l’histoire hypnotique et hallucinatoire de deux gardiens de phare sur une île mystérieuse et reculée de Nouvelle-Angleterre dans les années 1890. » Deux hommes au passé troublant qui vont rester bloqués sur ce bout de caillou pendant plusieurs semaines… voire des mois. Durant une bonne moitié du film, la notion de temps est évidente, rythmée par les tâches du quotidien… mais tout se disloque quand une tempête éclate. La relève ne vient pas. Les provisions manquent… et d’étranges phénomènes se produisent autour des gardiens. Les a-t-on oublié… ou sont-ils en train de sombrer dans la folie ? C’est sans doute plus compliqué que ça… Dans le jargon maritime, les phares sont classés en trois catégories : les « Paradis » (construit sur la côte), les « Purgatoires » (sur une île) et les « Enfers » (en pleine mer). Le film d’Eggers prend place dans un « Purgatoire »… Un entre-deux monde qui confronte les hommes à leurs démons intérieurs. L’île apparaît comme un reflet de leur conscience… Une réalité qui se contorsionne, prenant la forme de créatures mystiques et mythologiques. Les images de ces apparitions sont proches de l’univers de Lovecraft. Une troublante ressemblance qui s’accentue avec cette obsession pour la lumière du phare, véritable boîte de pandore que tous souhaitent ouvrir.

Oui, il y a du fantastique dans The Lighthouse mais tout est stabilisé dans un cadre très réaliste. Les dialogues et le travail des gardiens sont au plus proche de la vérité historique : « il y a eu beaucoup de recherches à faire, en particulier pour écrire les dialogues de l’époque. Nous avons consulté des dictionnaires d’argot du XIXe siècle, des dictionnaires nautiques et beaucoup de littérature d’époque, de Melville à Sarah Orne-Jewett, une écrivaine originaire du Maine. Jewett a été particulièrement utile dans ses écrits en dialecte car elle avait interviewé d’anciens capitaines de navires et des fermiers pour construire ses récits », explique le réalisateur. À cela s’ajoute, un tournage dans un décor en extérieur qui plonge le spectateur dans le passé : « nous avons construit tous les bâtiments que vous voyez dans le film, y compris la tour du phare de 21 336 mètres de haut. Elle a été construite sur le cap Forchu, un affleurement désolé de roches volcaniques situé à l’extrémité sud de la Nouvelle-Écosse. La météo était incroyablement difficile. Nous avons affronté plusieurs Nor’easter (tempêtes hivernales, Ndlr), les vents étaient impitoyables. Il faisait un froid glacial. C’était un tournage très exigeant physiquement pour Willem et surtout pour Rob. » Oui, les acteurs brillent dans l’interprétation. Le film fourmille de scènes où Willem Dafoe et Robert Pattinson explorent une multitudes de facettes tant du côté absurde qu’obscure. L’attitude et les expressions qu’ils distillent devant la caméra instaurent un malaise si ténu que le spectateur, assiste impuissant à leur descente aux enfers. L’utilisation du format carré en noir et blanc offre également une lecture proche des comédiens et empreinte de réalisme, une façon de filmer dans les tons du cinéma expressionniste Allemand : « nous avons filmé avec des lentilles utilisées dans les années 1915 et 1930, en utilisant un ratio d’aspect archaïque (1.19:1, format sonore rare et ancien). Et, à l’aide d’un filtre personnalisé, nous avons pu retrouver un aspect proche du rendu des pellicules orthochromatiques du cinéma muet. » Et il y a le son aussi, cette sirène au bruit assourdissant qui accompagne les protagonistes du début à la fin… Un élément en filigrane perturbant et angoissant.

The Lighthouse est captivant, glaçant et oppressant. Un film d’épouvante rare qui révèle un travail pointilleux tant au niveau de l’écriture que de la réalisation. Robert Eggers sait recréer des ambiances anxiogènes comme personne… et on en redemande. Seul problème, malgré une sortie très remarquée, le long métrage est représenté dans très peu de cinéma en France. Il faut croire que dans notre bon vieux pays, la créativité a peu d’échos…

                                                                                                             Caroline Vannier (janvier 2019)

Sources :

Interview de Robert Eggers pour le magazine web Le Film Français, propos recueillis par Patrice Carré.
Magazine V.O. Version Originale, décembre 2019.

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