Ubutopik

Des histoires qui se vivent

Au revoir là-haut (P. LEMAÎTRE), éd. Albin Michel

« Sur les ruines du plus grand carnage du XXe siècle, deux rescapés des tranchées, passablement abîmés, prennent leur revanche en réalisant une escroquerie aussi spectaculaire qu’amorale. Des sentiers de la gloire à la subversion de la patrie victorieuse, ils vont découvrir que la France ne plaisante pas avec ses morts… »

Un grand roman ! La critique pourrait s’arrêter là mais la qualité de ce livre mérite qu’on s’y attarde. L’écriture d’abord : belle, juste et limpide. Jamais de bavardage inutile : la plume est au service des protagonistes. Et quels personnages ! Les principaux, comme les secondaires sont dépeints avec le même sens du détail. Une fiction qui prend place pendant et après la Grande Guerre : une période charnière qui fait ressortir le meilleur comme le pire chez l’humain. Mais est-ce si simple ? Non… une complexité des événements et des situations qui donnent de l’envergure au texte. Pierre Le Maître ne tombe jamais dans la facilité : son histoire est fouillée, documentée… et il précipite le lecteur dans un monde pas si lointain. À lire et relire.

Roman paru en 2013.

Note : 5 / 5

Catherine, un regard sur la scène Rennaise (juin 2020)

Rennes, en quelques mots ? « Sa culture, sa taille à échelle humaine et surtout sa musique », répond Catherine sans hésitation. Il faut dire que la cité Bretonne, elle la connaît depuis un moment : « je suis née ici. Après, j’ai vécu 18 ans dans un petit village pas loin. Et comme pas mal de monde, j’y suis revenue pour mes études. » Alors, le jour où elle franchit le pas pour devenir attachée de presse, le faire depuis Rennes a du sens. Certains diront qu’à l’heure des réseaux sociaux, s’établir dans un lieu précis est superflu mais pas pour Catherine : « j’aime bien bosser avec des groupes Rennais parce qu’on a le temps de se voir, de passer du temps ensemble, de tisser des liens. C’est moins facile quand je travaille avec des groupes qui habitent plus loin, le travail se fait de la même façon mais il manque quelque chose. »

Catherine écoute du rock : « David Bowie, Joy Division, Led Zeppelin, The Stooges… J’ai eu une platine vinyle assez tard et j’ai eu envie, dans un premier temps, de redécouvrir les grands classiques du rock quand on me l’a offerte. Quand tu pars de zéro vinyle, tu ressens un énorme plaisir à aller à la chasse aux albums cultissimes pour toi. » Passionnée de musique, elle l’est… mais ce métier, elle ne l’a pas choisi tout de suite. À 37 ans, elle décide de tout plaquer. Un changement d’orientation professionnelle radical : « pendant 15 ans, j’ai fait des sites Internet et je ne voulais plus continuer. Je passais mon temps devant mon ordi à « pisser » du code, comme on dit et le milieu dans lequel j’évoluais n’était pas en adéquation avec mes convictions. J’ai réalisé un bilan de compétences mais c’est en intégrant des équipes de festivals, en commençant à écrire pour Rennes Musique et en rencontrant des gens que jai pensé à attachée de presse. En y réfléchissant, c’est allé assez vite. Tout s’est accéléré quand j’ai interviewé City Kay lors de leur concert aux Trans Musicales, pour Rennes Musique justement. Un des membres du groupe – Yoann Minkoff – sortait un album et ça a commencé comme ça. J’ai quitté mon boulot et je me suis lancée. C’est grâce à lui que tout a commencé. Son album Black & White Blues est magnifique, il m’a ouvert des portes dès le début.»

Mais en quoi consiste ce métier ? Comment se construit un réseau ? Catherine s’occupe de faire connaître les groupes auprès des médias : radios, journaux, webzines, TV locales et nationales… Mais sans carnets d’adresses, impossible d’entrer en contact avec les bonnes personnes… et il y a encore quelques années, elle n’était pas du tout dans le milieu. Elle est pourtant parvenue à se faire une place en peu de temps : « quand j’ai voulu travailler dans la musique, j’ai été bénévole presque partout à Rennes. Je me suis construite un réseau assez vite. Aujourd’hui, je continue seulement avec le Grand Soufflet et l’Antipode. » Et après ? Qu’est-ce qui fait la différence ? Catherine est rigoureuse, efficace et surtout, elle parle bien des musiciens qu’elle défend. Aujourd’hui, sous le nom de These Days, elle travaille avec le festival I’m From Rennes, quelques labels et 4 à 5 groupes par mois… Pas mal de formations rock qui ont eu leur place dans les pages de Rock&Folk, sur le site de la Grosse Radio et même chez De Caunes sur France Inter. Pour en arriver là, elle a acquis une très bonne connaissance du milieu musical Rennais en tant que bénévole mais aussi en étant elle-même « journaliste »…

Catherine écrit pour Rennes Musique, un blog qui fait la part belle à la scène locale. Empruntant le nom de l’ancien disquaire emblématique de la rue Maréchal Joffre, le site traite de l’actualité de ceux qui font la musique : des portraits, des interviews d’artistes mais pas que… À travers les rubriques Comptoir et Label d’été, c’est une ouverture à tout un univers musical dont on ne parle pas forcément : « pendant deux saisons, on l’a fait avec les cafés concerts. Idem pour les labels et c’est fou tout ce qui existe. » Un chantier qu’elle partage avec Anthony B. (le fondateur). Des passionnés qui sont là pour donner un coup de projecteur sur ce qui se passe à Rennes. Depuis cinq ans, certains d’entre eux animent même en parallèle l’émission radio Purple Rennes. Un format hebdo, le mercredi, de 19h à 20h, sur CanalB. Aux commandes ? Catherine, Romain et Benjamin. Toutes les semaines, ils brossent le portrait d’un groupe du coin qui joue toujours en live. Là aussi, il y a un gros boulot de la part de Catherine, c’est elle qui est à la programmation et qui cherche des groupes chaque semaine. Et d’ailleurs, passer derrière le micro, ça se passe comment ? « Je n’avais jamais fait de radio. Quand on te tend un micro au tout début et qu’on te dit, allez vas-y, c’est pas évident. Mais au fur et à mesure des émissions, tu prends tes marques, tu apprends à poser ta voix. » Au total, entre Purple Rennes et Rennes Musique, les souvenirs s’accumulent : « Slift, un de mes coups de cœur mon tout dernier concert avant le confinement. Frustration aussi. Discuter des heures et des heures avec Laeticia Sheriff. Sleaford Mods, une des interviews les plus compliquée à retranscrire. Et bien sûr Dominic Sonic, l’interview qui restera pour moi la plus marquante et le plus beau moment. Il avait tellement à raconter qu’on a poursuivi la discussion dans un bar, après l’avoir reçu dans l’émission. Il y a les spéciales aussi comme Purple Grignou. On l’a fait une fois, l’année dernière, c’est un mix entre nous et la plus vieille émission de CanalB. On croise pas mal d’animateurs tous les mercredis et on a pas le temps de se parler, faire une émission commune permet de passer du temps ensemble. Il y a quelques jours, on a réédité l’expérience avec Metal Injection. Avec l’épidémie de Covid, on a pas eu accès au studio, on a donc investi le Marquis de Sade. »

Pour beaucoup, Rennes a perdu de sa splendeur musicale. Que reste-il des vestiges des années 70-80 ? Peut-on encore l’appeler ville Rock ? Pour Catherine, la question ne se pose pas : « il y a de la diversité. Je découvre toujours de nouveaux groupes. Impossible de s’ennuyer.»

Caroline Vannier

Sur le Web :
https://www.facebook.com/thesedayspressandbooking
https://www.facebook.com/rennes.musique/
https://www.facebook.com/PurpleRennes
http://canalb.fr/purplerennes/podcasts
http://rennesmusique.com/

Big Steph, une des mémoires de la scène punk rock alternative (mars 2018)

Big Steph, on le remarque ! Il a une tronche de rockeur et une carrure à bosser dans la sécu. Un gars qui n’hésite pas à dire ce qu’il pense et qui reste fidèle à son ancrage musical. La musique ? Il a mis le pied dedans tout jeune. Très tôt, il suit ses cousins et découvre la scène punk rock des années 80. Avec des groupes comme Les Rats et Parabellum, il rencontre des gens écorchés, libres et impliqués. L’énergie qu’ils dégagent, il va vouloir la partager. C’est comme ça, qu’il organise ses premiers concerts. Tout d’abord avec des potes, et puis tout seul quand il monte sa propre affaire en Bourgogne : « j’ai eu un bar de début 1991 à 1993, dans le trou du cul du monde. J’avais 21 ans. Je faisais ma prog, je sélectionnais moi-même les groupes ». Il jette un coup d’œil aux affiches près du bar : « à l’époque, pour la com’, on se démerdait autrement : on faisait des pochoirs et des collages. Et après, on passait tout à la photocopieuse. Je crois que j’ai encore des affiches chez moi.»

Big Steph prend ses valises et arrive à Rennes en 1997. Pendant un an, il bosse au Sympatic Bar (en 1998), puis enchaîne des postes à la sécu des salles de concert entre 1999 et 2003. En 1999, il participe même à l’orga du Festival des Résistances « on avait fait des souscriptions grâce au dessin de Vuillemin – créé gratuitement -, ce qui nous a permis de faire des t-shirts et affiches du festoche. Grâce à ça, on a eu des fonds pour pouvoir faire le festival et surtout aussi grâce à Eric Lacote, chanteur des Dileurs, qui avait un très bon carnet d’adresses avec beaucoup de gros groupes comme Zebda, Tryo, Flor del fango…. » En 2002, il entre au Mondo Bizarro, il y restera 16 ans : « au début, j’ai fait de la sécu pour le Mondo sur des grosses dates comme UK Subs, The Vibrators… Et puis, j’ai vu que Bruno était emmerdé, il avait plus de barmans. En mars 2003, j’attaquais le bar. »

Derrière son comptoir, il en a vu des groupes : « ça m’a permis de revoir des connaissances comme Pat Kebra, Géant Vert. » Il évoque aussi, ses potes, ceux qu’ils n’oublient pas « Parabellum, Les Rats… c’est la famille. Schultz, Sven et Patrick Lemarchant… Les mecs, je les ai connus à 15 ans. » Les souvenirs de concerts défilent, on parle d’un soir, à la salle de l’Étage où Schultz – chanteur de Parabellum disparu en 2014 – le salue du haut de la scène. Stéphane est au beau milieu du public, il dépasse tout le monde d’une bonne tête et répond d’un geste amical à son pote : « … c’était mon grand frère », lâche-t-il le regard absent.

Aux côtés de Bruno, Big Steph a aussi vu évoluer des acteurs de la scène locale : « Jo – de l’asso Face to Face – je l’ai connu tout jeune. Il met de sa poche, parfois il se casse la gueule mais il recommence. » Et puis, la conversation s’étoffe, les anecdotes fusent… Big Steph pose ses coudes sur le comptoir et confie : « Oh là ! Les Fishbone ! Il y avait 240 personnes là-dedans, le 15 août. Je me rappelle, c’était Nico de Tagada qui faisait le son. » Le temps de servir à boire à des clients et il revient : « Il y a aussi eu des casse-couilles comme The Distillers en 2002. Ils sont arrivés à la bourre et ils ont joué les stars. »

Big Steph est une des mémoires de la scène punk rock alternative. Dans quelques années, on le verra peut-être à la sécu d’une salle de concert ou derrière le comptoir d’un autre bar à Rennes. Mais ce qui est sûr, c’est que des histoires, il en a en réserve : entre deux services, il pourra lâcher deux ou trois anecdotes sur la scène d’aujourd’hui et d’hier. Et un rêve fou, il en a un ? : « J’aime bien faire la bouffe… Avec ma femme, on aimerait bien ouvrir des chambres d’hôtes à thèmes. » Le punk rock ne meurt jamais. Une devise que Stéphane n’a pas besoin de dire, il la porte en lui.

Caroline VANNIER

Jack, animateur et fondateur de l’émission Rennes to the Hills (février 2020)

Pas facile d’avoir un véritable avis sur la musique. En dehors du simple « j’aime » , « j’aime pas », avancer un argument qui tient la route n’est pas une évidence pour tout le monde. On met toujours de soi dans un jugement mais une opinion construite donne de la valeur à une critique. D’accord… mais la musique a-t-elle besoin des autres pour exister ? Oui… Sauf cas très particuliers, un morceau a vocation à être partagé et savoir en parler met en valeur le travail des groupes. Jack est de ces passeurs. Un passionné, devenu un intermédiaire entre le public et les artistes. Animateur chez Rennes to the Hills depuis presque sept ans, il repère, décortique mais surtout participe à la découverte de musiciens issus de la scène professionnelle et amateur. Mais qu’est-ce qui l’a mené à faire de la radio ? Semaine après semaine, comment prépare-t-il ses émissions ?

Il y a forcément un début à tout. Pour Jack, le virus de la musique l’a pris très tôt : « la première claque, c’était avec Discovery de Daft Punk. J’avais emprunté le C.D. à la bibliothèque et j’écoutais en boucle le morceau Aerodynamic. Après, j’ai eu ma période Neo-Metal mais dès 13 ans, j’ai commencé à m’intéresser au Death Melodique avec le groupe Suédois Soilwork. À cette époque, Lordi jouait aussi à l’Eurovision et j’ai trouvé ça fou qu’ils gagnent.» L’enfance façonne de bien des manières… De cette période, il retient ses découvertes musicales mais aussi un surnom qu’il porte aujourd’hui à la radio : « mon vrai prénom est Mathieu mais on m’appelle Jack depuis que j’ai dix ans. »

Pour en parler, écouter de la musique est essentiel… mais pour la comprendre, faut-il savoir en jouer ? Disons que ça peu aider… « J‘ai fait de la guitare. C’était pas du Metal mais plutôt de l’Alternatif. Le groupe n’a pas tenu, on s’est séparé parce qu’on partait tous faire nos études ailleurs. C’est à ce moment que j’ai commencé la radio », explique Jack. Il débute comme chroniqueur sur le temps du midi pendant une saison mais très vite, il monte son propre projet : «  il n’y avait pas d’émission dédiée au Metal à la Fac, j’ai déposé une demande et c’est comme ça que Rennes to the Hills a démarré. C‘est à cette période que j’ai rencontré Swann du groupe Hipskör. Il a fait partie de la première équipe de Rennes to the Hills avec Clément, Anaïs et Pablo.» Musicien et présentateur ? Et oui, en coulisses ou dans les salles de concert, les rôles se mêlent : les acteurs de la scène locale portent parfois plusieurs casquettes.

Après toutes ces années, la motivation est-elle toujours la même ? Comment se prépare une émission hebdomadaire ? « On est en direct le mardi soir, de 21h00 à 22h00. On arrive vers 20h30 mais je t’avoue qu’on privilégie une ambiance détendue. J’ai toujours insisté pour qu’on se fasse plaisir et que tout le monde participe, y compris la personne qui gère la technique. Il a son micro et il intervient quand il veut. » N’empêche, quand on les écoute, on se rend compte que les chroniqueurs maîtrisent parfaitement leurs domaines : « j’ai toujours voulu taper large dans les styles de Metal. On passe des trucs qu’on aime bien, même si c’est pas récent. On parle aussi des groupes et des asso locales. » Et c’est du boulot… Rennes to the Hills ne prend quasi pas de vacances : « l‘été, c’est une période riche en actualités. On peut pas passer à côté. Il y a les festivals à couvrir comme le Hellfest et le Motocultor. On va sur place pour les interviews. Après, en dehors des gros festivals, on sort peu du studio. On a quand même déjà fait 8 heures de live pour l’anniversaire du Mondo Bizarro. Un très bon souvenir mais techniquement, c’était compliqué. »

Jack a une très large connaissance du monde de la musique. Il va voir pas mal de concert mais il bosse aussi en tant que Runner Artiste, Merch Guy et Roadie. Un taf complet qui oblige à être sur tous les fronts : du merch, au matos, en passant par la conduite… Il a commencé comme bénévole et puis, un jour, Rage Tour l’a contacté pour accompagner un groupe en tournée : « Columbine, du rap. Rien à voir avec le Metal mais j’ai vraiment adoré. On est parti 4 mois et on a traversé pas mal de pays. Je repars en mars avec The Lords of Altamont

Jack sait parler des musiciens. Un animateur curieux qui a les yeux qui brillent quand il évoque les groupes qu’il soutient : des formations – pour la plupart – issues de la scène Metal, Rock et Alternative.

La musique…

Une passion qu’il a su garder intacte depuis ses 13 ans. C’est beau ça… et plutôt rare ! N’hésitez pas à l’écouter ! Rennes to the Hills, ça se passe tous les mardis soirs avec Jack, Julien, Vincent, Elisa, Pierre et Elliot.

Caroline Vannier

Sur le Web :
https://www.c-lab.fr/emission/rennes-to-the-hills.html?fbclid=IwAR2jVF3YTqqgnXjaB1_lx4UxFaZleky0HnAQRPZETE7S-O3nf14rCJPEyaU
https://www.facebook.com/rtth35

Le phare, voyage immobile (P. RUMIZ), éd. Gallimard

« De tous ses voyages, Paolo Rumiz nous raconte ici le plus étonnant : son premier voyage immobile. Isolé dans un phare perché sur un minuscule rocher quelque part dans la Méditerranée, avec pour seuls compagnons les gardiens. Loin de tout mais curieusement aussi au centre de tout. Un nouvel univers où plus rien ne ressemble à ce qu’il connaît, où même les étoiles semblent ne pas être à leur place. »

Un livre qui témoigne de l’essentiel. Quasi-seul face à la nature, l’auteur raconte la mer, le ciel et le temps qui passe. Une belle écriture qui navigue entre carnet de voyage et philosophie. Dans ses chapitres – intitulés par un mot – l’auteur développe une idée au gré de ses rencontres. La réalité qu’il dépeint est parfois difficile… comme ces richesses de la mer qui s’amenuisent ou encore l’appréhension de voir ce phare livré au tourisme de masse. Jusqu’au bout, il taira le nom de ce lieu où il a été accueilli durant trois semaines. À une époque où le monde est connecté, il est bon de se retrouver loin de tout.

Roman paru en 2015.

Note : 4 / 5

The Lighthouse (2019) : Robert Eggers

Comment traduire la peur au cinéma… Quelle forme revêt-elle lorsqu’elle est poussée à l’extrême, en situation d’isolement ? Avec The Witch – son premier film –, Robert Eggers place une famille à l’écart de la société. La foi, la sorcellerie, le diable… Ancrés dans leurs croyances, les protagonistes vont très vite être confrontés à leur propre folie. Dans The Lighthouse, le schéma est identique mais le réalisateur va mettre en scène un binôme qui ne se connaît pas. Dans ce contexte, est-il possible se faire confiance ? Comment ne pas douter l’un de l’autre ?

The Lighthouse raconte « l’histoire hypnotique et hallucinatoire de deux gardiens de phare sur une île mystérieuse et reculée de Nouvelle-Angleterre dans les années 1890. » Deux hommes au passé troublant qui vont rester bloqués sur ce bout de caillou pendant plusieurs semaines… voire des mois. Durant une bonne moitié du film, la notion de temps est évidente, rythmée par les tâches du quotidien… mais tout se disloque quand une tempête éclate. La relève ne vient pas. Les provisions manquent… et d’étranges phénomènes se produisent autour des gardiens. Les a-t-on oublié… ou sont-ils en train de sombrer dans la folie ? C’est sans doute plus compliqué que ça… Dans le jargon maritime, les phares sont classés en trois catégories : les « Paradis » (construit sur la côte), les « Purgatoires » (sur une île) et les « Enfers » (en pleine mer). Le film d’Eggers prend place dans un « Purgatoire »… Un entre-deux monde qui confronte les hommes à leurs démons intérieurs. L’île apparaît comme un reflet de leur conscience… Une réalité qui se contorsionne, prenant la forme de créatures mystiques et mythologiques. Les images de ces apparitions sont proches de l’univers de Lovecraft. Une troublante ressemblance qui s’accentue avec cette obsession pour la lumière du phare, véritable boîte de pandore que tous souhaitent ouvrir.

Oui, il y a du fantastique dans The Lighthouse mais tout est stabilisé dans un cadre très réaliste. Les dialogues et le travail des gardiens sont au plus proche de la vérité historique : « il y a eu beaucoup de recherches à faire, en particulier pour écrire les dialogues de l’époque. Nous avons consulté des dictionnaires d’argot du XIXe siècle, des dictionnaires nautiques et beaucoup de littérature d’époque, de Melville à Sarah Orne-Jewett, une écrivaine originaire du Maine. Jewett a été particulièrement utile dans ses écrits en dialecte car elle avait interviewé d’anciens capitaines de navires et des fermiers pour construire ses récits », explique le réalisateur. À cela s’ajoute, un tournage dans un décor en extérieur qui plonge le spectateur dans le passé : « nous avons construit tous les bâtiments que vous voyez dans le film, y compris la tour du phare de 21 336 mètres de haut. Elle a été construite sur le cap Forchu, un affleurement désolé de roches volcaniques situé à l’extrémité sud de la Nouvelle-Écosse. La météo était incroyablement difficile. Nous avons affronté plusieurs Nor’easter (tempêtes hivernales, Ndlr), les vents étaient impitoyables. Il faisait un froid glacial. C’était un tournage très exigeant physiquement pour Willem et surtout pour Rob. » Oui, les acteurs brillent dans l’interprétation. Le film fourmille de scènes où Willem Dafoe et Robert Pattinson explorent une multitudes de facettes tant du côté absurde qu’obscure. L’attitude et les expressions qu’ils distillent devant la caméra instaurent un malaise si ténu que le spectateur, assiste impuissant à leur descente aux enfers. L’utilisation du format carré en noir et blanc offre également une lecture proche des comédiens et empreinte de réalisme, une façon de filmer dans les tons du cinéma expressionniste Allemand : « nous avons filmé avec des lentilles utilisées dans les années 1915 et 1930, en utilisant un ratio d’aspect archaïque (1.19:1, format sonore rare et ancien). Et, à l’aide d’un filtre personnalisé, nous avons pu retrouver un aspect proche du rendu des pellicules orthochromatiques du cinéma muet. » Et il y a le son aussi, cette sirène au bruit assourdissant qui accompagne les protagonistes du début à la fin… Un élément en filigrane perturbant et angoissant.

The Lighthouse est captivant, glaçant et oppressant. Un film d’épouvante rare qui révèle un travail pointilleux tant au niveau de l’écriture que de la réalisation. Robert Eggers sait recréer des ambiances anxiogènes comme personne… et on en redemande. Seul problème, malgré une sortie très remarquée, le long métrage est représenté dans très peu de cinéma en France. Il faut croire que dans notre bon vieux pays, la créativité a peu d’échos…

                                                                                                             Caroline Vannier (janvier 2019)

Sources :

Interview de Robert Eggers pour le magazine web Le Film Français, propos recueillis par Patrice Carré.
Magazine V.O. Version Originale, décembre 2019.

Border (2018) : Ali Abbasi

Pour ne pas trahir Border, il faut passer sous silence une bonne partie du film. Le spectateur doit découvrir par lui-même ce qui fait la force de cette histoire hors norme… mais même en taisant des éléments clés, il y a beaucoup à dire… à commencer par le scénario.

Sur le papier, Border, c’est une ligne narrative riche et créative. Rien d’étonnant quand on sait que le long métrage prend sa source dans la nouvelle Gräns tirée du recueil Låt de gamla drömmarna dö de John Ajvide Lindqvist. L’auteur n’est d’ailleurs pas un inconnu dans le monde du cinéma : son livre Laisse-moi entrer (Låt den rätte komma) a été adapté en 2008 sous le titre Morse par Tomas Alfredson : une fresque sociale sur le thématique des vampires qui est devenue une véritable référence dans le domaine. Mais revenons à BorderSur ce projet, l’écrivain va plus loin : il ne se contente pas de céder les droits mais devient co-scénariste aux côtés du réalisateur Ali Abbasi. Un travail à quatre mains qui aborde le récit sous un angle différent : « je voulais être dans la tête de Tina [ l’héroïne ] –, voir le monde de son point de vue » précise le metteur en scène.

Ali Abbasi a peu de films à son actif mais il sait ce qu’il veut. Morse a marqué un tournant dans le cinéma Suédois et il est convaincu que, trop s’en inspirer, ruinerait son projet : « pour éviter de tourner un Morse II, il me fallait construire son opposé. Au lieu de styliser le monde à l’extrême et de créer une certaine distance, je voulais fabriquer un film presque réaliste. » Pari réussi ! Border est inclassable… Une histoire qui reprend les codes du fantastique mais clairement ancrée dans la société d’aujourd’hui. Un regard juste et poétique qui en dit long sur les relations entre êtres humains. Le pitch ? « Tina, douanière à l’efficacité redoutable, est connue pour son odorat extraordinaire. C’est comme si elle pouvait flairer la culpabilité d’un individu. Mais quand Vore, un homme d’apparence suspecte, passe devant elle, ses capacités sont mises à l’épreuve pour la première fois. Tina sait que Vore cache quelque chose, mais n’arrive pas à identifier quoi. Pire encore, elle ressent une étrange attirance pour lui…» Le résumé ne le précise pas mais les protagnosites ont tous deux un physique atypique… et cette ressemblance va agir comme un élément déclencheur sur Tina. Un mécanisme qui va nourrir le personnage et remonter des interrogations universelles sur la différence, le racisme et le communautarisme. Border pousse la réflexion sur notre civilisation mais ne tombe jamais dans l’analyse sociale. Sur fond d’enquête, la part de fantastique reste bien présente mais la dynamique lui est propre, presque paradoxale : « la force du film tient au fait qu’il ne s’inscrive ni dans le conte ni dans le réalisme social. Il navigue constamment entre ces deux pôles. »

L’esthétique n’est pas en reste. Tout au long du film, les dialogues s’interrompent pour laisser la part belle au silence. Un aspect contemplatif qui met en valeur la nature : « la forêt ressemble presque à un rêve. » Oui… par moment, Border est comme un songe. Une temporalité qui décrit parfaitement l’état d’esprit des personnages.

Côté costumes, le choix est là aussi déterminant pour la composition du film. À l’heure du tout numérique, exit les effets spéciaux et place à un côté complètement artisanal. Les acteurs ont joué avec un maquillage qui a nécessité, chaque jour de tournage, plusieurs heures de préparation. Une façon pour les comédiens d’être au plus proche de leurs personnages : revêtir cette seconde peau a forcément eu un impact sur les excellentes interprétations d’Eva Melander et de Eero Milonoff.

Border est une réussite. Un grain de folie dans cette grosse industrie qu’est le cinéma… Une perle d’inventivité dans un monde souvent si standardisé. Le 7ème art Suédois n’a décidément pas fini de nous étonner !

                                                                                                               Caroline Vannier (décembre 2019)

Sources :

Bonus DVD Border, Metropolitan FilmExport
Émission Le Grand Frisson

Le château de Cagliostro (1979) : Hayao Miyazaki

Un romancier français (Maurice Leblanc), un mangaka (Monkey Punch) et un réalisateur (Hayao Miyazaki) dont c’est le premier film. Voilà un mélange plutôt étonnant qui a donné naissance à un chef d’œuvre de l’animation, sorti en décembre 1979 au Japon. Il s’agit du Château de Cagliostro. Si le film a connu sa première sortie au cinéma en France en janvier 2019 (grâce à Splendor films), il n’est toutefois pas inconnu du public français. En effet, plusieurs sorties vidéo ont vu le jour sur notre territoire, dont une toujours disponible en DVD et Blue Ray, chez l’éditeur Kazé. L’occasion était trop belle pour revenir sur ce film, jalon important de la carrière d’Hayao Miyazaki.

Le Chateau de Cagliostro met en scène le personnage de Lupin le 3ème (plus connu en France sous le nom d’Edgar de la cambriole). Si ce nom vous parle, c’est qu’il fait référence au héros né sous la plume de Maurice Leblanc en 1905 : Arsène Lupin.

Derrière ce personnage, se cache un gentleman cambrioleur, adepte du déguisement et disposant d’une certaine perspicacité et d’une évidente filouterie, lui permettant de se sortir de bien des mauvais pas. Il a connu un grand succès tout au long des 17 romans, 39 nouvelles et même 5 pièces de théâtre. Le succès et l’aura d’Arsène Lupin ne se sont pas arrêtés à la France et est notamment passé par le Japon.

En 1967, Monkey Punch apprécie le travail du romancier français. C’est notamment la lecture de l’Aiguille Creuse qui le motive a proposer une adaptation du personnage auprès de Futabasha (éditeur japonais). Plutôt que de réutiliser le même personnage, il décide de prendre pour héros le petit fils d’Arsène Lupin (d’où le nom Lupin le 3ème). Son grand-père lui a transmis sa passion pour le cambriolage, le don du passe partout et surtout (comble de la vanité) l’annonce de son futur forfait auprès des autorités, et notamment de l’inspecteur Zenigata (équivalent de l’inspecteur Lestrade pour Sherlock Holmes). De plus, il n’est pas seul, car accompagné de ses acolytes Jigen, Goemon et Fujiko.

En 1971, devant le succès du manga, sort une première série animée de Lupin, à destination des adultes. Le succès n’étant pas au rendez-vous, les producteurs décident de s’adresser davantage aux enfants. Pour cela, ils font appel à Isao Takahata et… Hayao Miyazaki. Il s’agit à l’époque de son premier travail à la réalisation d’une série. Il y dirigea 2 épisodes avant que cette dernière ne soit annulée.

Pour autant, Lupin plaît aux diffuseurs japonais, qui décident de relancer une deuxième série à partir de 1977. C’est cette série que l’on verra en France par le biais de 55 épisodes (sur les 185 épisodes au total). Si un premier film voit le jour en 1978 (le secret de Mamo, qui est prévu pour sortir prochainement en France au cinéma, toujours par Splendor films), un second projet de film est lancé. C’est à ce moment que le nom d’Hayao Miyazaki revient. Sortant de la réalisation de la série Conan le fils du futur, il est choisi pour s’occuper de celle du Château de Cagliostro.

L’histoire commence quand le célèbre Lupin dévalise un casino mais s’aperçoit que les billets volés sont des faux. En compagnie de son acolyte Jigen, Lupin enquête sur cette fausse monnaie qui le conduit au château de Cagliostro. Ils apprennent alors qu’une princesse, enfermée dans le château, détiendrait la clé d’un fabuleux trésor…

Le château de Cagliostro commence tambour battant, sans pour autant relâcher son rythme endiablé. On peut noter à certains moments un calme apparent, mais c’est pour repartir de plus belle dans l’intrigue. De la scène de course poursuite, à l’infiltration dans le château en passant par la visite des bas fonds de ce dernier, le spectateur n’aura que peu de temps pour s’ennuyer.

Graphiquement, si les choix vestimentaires trahissent son époque, il reste aujourd’hui tout à fait regardable, même pour un film de 1979. La réalisation reste cohérente d’un bout à l’autre du film, chose pas toujours évidente du fait d’une certaine “élasticité” dont est pourvue Lupin, capable de nager (un temps) à contre courant, puis se faisant maltraiter par un réseau de d’évacuation d’eau, tout en ressortant vivant.

Il ne faut pas oublier que film a été réalisé en un temps record, la préproduction commençant en mai 1979, la réalisation au mois de juillet et le film est achevé en novembre 1979 (à peine plus de 4 mois de réalisation). À noter que la première scène de course poursuite du film a été réalisée en l’espace de 2 mois. La légende veut que Steven Spielberg, qui aurait découvert le film en 1980, s’en soit inspiré pour Les aventuriers de l’arche perdue et Les aventures de Tintin : le secret de la Licorne.

L’autre point important est que le spectateur n’est pas perdu, même s’il ne connaît pas la série originale. Si on fait connaissance avec tous les compères de Lupin, on se retrouve souvent à le suivre seul dans le château, en compagnie de l’inspecteur Zenigata, allié de circonstance.

Il s’agit avant tout d’un film de divertissement, avec des personnages très manichéens. Ainsi si Lupin fait office du gentil, le comte de Cagliostro à tout du méchant caricatural, avec ses hommes de mains, ses véhicules en tout genre (bateau, voiture, avion), et son armement de haute volée. On est pas loin du cahier des charges d’un méchant de James Bond des années 70.

Du côté de la bande son, elle souligne l’action de manière optimale sans être omniprésente. Pour les voix, si la version originale est au dessus du lot (ne serait-ce que pour le ricanement de Lupin), la version française se défend bien. Derrière Lupin, on retrouve Philippe Ogouz (qui est sa voix attitrée), Philippe Peythieu (voix de Jigen, et bien connue pour être celle d’Homer Simpson). À noter que le film a connu 3 castings vocaux différents, comme autant de versions sorties en France.

La première version était déjà de grande qualité puisqu’on retrouve Philippe Ogouz, mais aussi d’autres voix connues, tels que Gérard Hernandez (Moriarty dans la série d’animation Sherlock Holmes, réalisé par Hayao Miyazaki, Iznogoud), Céline Monssarat (connue pour être la voix française de Bulma (Dragon Ball) ou encore Dory (Le monde de Nemo) ou encore Roger Carel (Astérix). La seconde version du doublage a été très critiquée, ne serait-ce que par le choix de changer la voix de Lupin et de manière générale un doublage inférieur en qualité au premier.

Il faut savoir que s’il y a eu trois versions différentes, au gré des différentes ressorties du film, ce dernier a également connu dans sa première mouture un remontage. Cette première adaptation connue une censure de plus d’un quart d’heure, faisant disparaître sans raison le personnage de Goemon. Cette version faisant également disparaître les 5 dernières minutes pour obtenir une fin différente.

Lors de sa ressortie sur le marché vidéo en 1996, des divergences avec la version originale apparaissent toujours, notamment Lupin devenant Wolf (un choix effectué par les ayants droits japonais pour la distribution à l’étranger, du fait des problèmes de droits évidents avec l’œuvre de Maurice Leblanc, Arsène Lupin étant désormais libre de droits depuis 2012).

Si Hayao Miyazaki a su avant tout adapter l’univers de Monkey Punch au cinéma, c’est aussi parce qu’il a su s’affranchir du fait qu’il s’agit d’un film de commande pour en faire une œuvre plus personnelle. En effet, Hayao Miyazaki est crédité en tant que scénariste et réalisateur, au temps dire qu’il a la main sur le fil conducteur de l’histoire et la façon dont il va le mettre en scène.

Ainsi le film se veut plus fidèle à l’esprit des romans de Maurice Leblanc que du manga de Monkey Punch. Le manga a une approche plus adulte et de fait moins grand public. Il y a davantage de violence, Lupin apparaît davantage comme étant un voleur cynique et désabusé. Ce qui, quand on connaît la filmographie future de Miyazaki, s’éloigne de ces thèmes de prédilection. À noter que s’il y a bien utilisation d’armes à feu, que ce soit de la part de Lupin et de ses amis ou du côté du comte et de ses hommes de main, aucunes d’elle n’entraînera la mort, ce qui n’empêchera pas la mort d’arriver.

Le réalisateur décidera de s’appuyer sur 2 romans de Leblanc : La comtesse de Cagliostro (qui se déroule dans la jeunesse d’Arsène Lupin) et la demoiselle aux yeux verts. Il citera également Edogawa Ranpo (romancier japonais) et Le mystère de la tour de l’horloge (non traduit en français).

Parmi les autres références citées et non des moindres, on retrouve Paul Grimault. Réalisateur de film d’animation français, il est notamment connu pour la bergère et le ramoneur (sorti en 1953), ainsi que pour le Roi et l’Oiseau (sorti en 1980, pour lequel il réutilisera des plans du précédent cité). Le Château de Cagliostro est un hommage direct à celui apparaissant dans la bergère et le ramoneur, de part son architecture. Étant connu pour être pointilleux, Miyazaki ira jusqu’à dessiner les plans du château ainsi que son aménagement afin de rendre cohérent le déplacement des personnages.

Au-delà de toutes ces références, Le château de Cagliostro est surtout un prisme de ce qu’à été et de ce que sera le cinéma de Hayao Miyazaki. C’est pour lui un véritable laboratoire permettant de développer ses idées que ce soit en terme de réalisation comme de scénario.

Tout d’abord, il est important de revenir sur le château, qui avec son architecture, est utilisé des toits aux catacombes. Du toit, on aperçoit un Lupin bondissant, prenant son élan pour rebondir de manière ample sur les les différentes tours, pour se retrouver de justesse accroché au donjon de la comtesse, Clarisse. En voyant cette scène on ne peut s’empêcher de voir “l’acrobate” Pazu, qui, dans le Château dans le ciel (sortie au Japon en 1986) s’accroche cahin – caha aux structures auxquelles il trouve prise.

La chambre de Clarisse est une chambre ronde fermée (uniquement accessible depuis un pont mobile) qui peut simuler le cycle du jour et de la nuit. Chambre dont on retrouve une copie presque conforme dans le Voyage de Chihiro (sortie au Japon en 2001), en tant que chambre du bébé de la sorcière Yubaba. Chambre qui est décorée par quelques châteaux dans des paysages européens, comme c’est le cas pour ce premier film de Miyazaki.

De même, le lien entre le sommet et les bas fonds de l’édifice se retrouve de manière identique entre le Château de Cagliostro et le voyage de Chihiro. Si dans le premier, Lupin sort un de ses tours pour ne pas trop mal finir, ce sera un peu plus compliqué pour Chihiro. Paradoxalement, le passage par les bas fonds sera beaucoup plus important pour Lupin, permettant le développement d’un arc narratif servant de rebond vers la suite du film.

Le lien entre Clarisse et le comte de Cagliostro est une copie conforme du lien qui existe entre Sheeta et Muska dans le Château dans le ciel. Si un mariage doit sceller l’union dans le premier cité pour accéder à un trésor, le second a pour but l’accès à une arme pour contrôler le monde. De même, les hommes de main du comte de Cagliostro sont très proche physiquement de ceux de Muska.

Enfin, il est important de revenir sur le rôle des femmes et leur évolution dans le château de Cagliostro. Tout d’abord en nombre, elles sont inférieures de loin aux hommes. Cependant, cela permet de les mettre en valeur. Tout d’abord Clarisse ressemble beaucoup à Sheeta (du Chateau dans le ciel), de prime abord étant plus effacée, mais qui au fur et à mesure prend confiance en elle. Fujiko est un personnage déjà mature, et même si elle reprend une partie des caractéristiques du personnage développé par Monkey Punch, elle apparaît moins “femme fatale”. Elle est d’un caractère totalement indépendant, et ce fait passé pour une gouvernante auprès de Clarisse par pur intérêt personnel. Elle démontre qu’elle n’a besoin de personne. Elle rappelle par certains côtés l’indépendance du personnage de San, la princesse Mononoké, volontaire, même si le contexte n’est pas du tout le même entre les 2 films.

On a pu le voir, Hayao Miyazaki a répondu présent pour la réalisation de son premier film. D’une œuvre de commande, il a su en faire un film dépendant davantage de choix personnels. Le Château de Cagliostro peut aisément faire office de fondation quant à la filmographie du maître, même si elle se développera par la suite, en reprenant des thématiques autres comme le rapport à la nature.

Monkey Punch a déclaré au sujet du Château de Cagliostro qu’il s’agit d’un “film un peu gamin. Si ça ne tenait qu’à moi, j’aurais fait quelque chose de plus adulte. En fait ce film est totalement ancré dans l’univers de Miyazaki. Mais c’est aussi bien comme ça”.

Romain Fonteneau (octobre 2019)

Sources :
Article Miyazaki Lupin 3 – p. 82-83 – Animeland n°25 – septembre 1996 (auteur : Ilan Nguyên)
Article : “Lupin 3, sans monocle et sans pantalon !” – p.60-61 – Animeland n°207 – décembre 2015 –  janvier 2016 (auteur : Meko).
Article “Le chateau de Cagliostro – Miyazaki the First” – Animeland n°225 – Décembre 2018- février 2019 pp.28-32 (Auteur : Victor Lopez)
Hayao Miyazaki – Cartographie d’un univers (auteurs : Raphael Colson, Gael Régner) / éditeur : les moutons électriques

Kemar, chanteur de No One is Innocent

No One is Innocent est un groupe emblématique des années 90. Des textes engagés, un son neuf, une énergie qui explose sur scène… À une époque où la fusion est reine, ils font un démarrage remarqué. Ils ont à peine vingt ans quand ils sont programmés aux Transmusicales de Rennes en 1993 (deux ans après Nirvana). Après ça, tout s’accélère… L’année suivante, ils signent leur premier album : No One is Innocent puis l’excellent Utopia en 1997. Deux réussites qui allient maîtrise technique et renouveau artistique : « La Peau » et « Nomenklatura » sont des morceaux si percutants qu’ils resteront d’actualité pour au moins les vingt années à venir. Mais quand on a connu de tels débuts, comment continuer à se construire en tant que musicien ? En 2019, le groupe est toujours là, assumant deux vies. À part Kemar (au chant), les membres de No One ont changé de visages mais le line up actuel est le même depuis quinze ans. Une stabilité qui aboutit aux très bons Frankenstein et Propaganda. Guitares en avant, ambiance rageuse… L’efficacité des riffs et de la rythmique portent avec authenticité les textes de Kemar. Une approche sans concession qui prend tout son sens en live. Et il est vrai que le frontman ne lâche rien, plus que jamais fidèle à ses engagements. Une ligne de conduite qui contribue à renforcer l’identité forte de No One. Mais qu’est-ce qui fait que la passion est toujours là ? Comment cultiver cette énergie sur scène ? Le samedi 9 novembre 2019, quelques heures avant son concert à Chateaugiron, Kemar a accepté de répondre à une dizaine de questions. Un entretien court mais qui apporte de belles réponses. La parole est donnée à un artiste indépendant qui trace sa route.

1 – Pas de musique sans message politique ?
Non, pas forcément. C’est pas parce que l’image de ton groupe est très engagée dans le texte que tu ne dois faire que ça. C’est aussi une bouffée d’oxygène de faire autre chose. Dans Frankenstein, il y a par exemple la chanson « Ali »: on prend beaucoup de plaisir à la jouer sur scène.

2 – Toujours fans des Sex Pistols ?
Ouais, ça reste un groupe important. Notre groupe vient de là (le nom du groupe est le titre d’un single des Sex Pistols). On aime le côté foutraque des Pistols mais on est plus dans la veine de The Clash pour la carrière. Les Pistols, ils ont marqué l’histoire ! Ils ont quand même sorti un album intemporel.

3 – Le son studio de Nomenklatura sur Utopia est très spécifique. De quelle façon la jouez-vous sur scène ? Comment l’abordez-vous à deux guitares ?
Il y a toujours une boucle derrière et une guitare qui reproduit le plus fidèlement possible le son de cette cithare électrique : celle qu’on avait utilisé pour l’enregistrement. L’idée est de rester le plus proche possible de l’originale.

4Sur vos derniers albums, le son est plus brut, plus incisif. Comment travaillez-vous aujourd’hui ? Quel est le point de départ d’une compo ?
Le groupe est stable depuis quinze ans. À part Popy à la guitare, ce sont les mêmes personnes. Cette stabilité, c’est aussi ce qui fait la force des deux derniers albums. On a essayé beaucoup de choses. Il y a un album qui a un peu moins marché que les autres mais ça nous a permis d’avancer. On s’est toujours demandé ce qui est bon pour le groupe : on se retrouve autour de ça.

5 – À l’international avec des groupes comme Nirvana, Rage Against the Machine ou encore Snot… En France avec vous, Lofofora, Silmarils, Mass Hysteria… Dans les années 90, la fusion et le grunge explosaient. Vingt-cinq ans après, quel regard portez-vous sur ces années ?
C’était des années géniales. Une créativité hors du commun en terme de son, d’attitude, de textes… La musique, c’est cyclique. Cette période, elle révoltait, elle enthousiasmait.

6 – Tes textes sont clairs, engagés et sans concession. Est-ce que tu penses à ta façon de les interpréter en les écrivant ?
Oui, clairement. Ça va de paire. C’est un gros travail d’écrire en Français. Tout doit être cohérent. J’écris des textes seul et avec mon pote Emmanuel de Arriba. Il faut absolument le citer, c’est quelqu’un d’important pour moi. L’écriture, c’est une étape exigeante et tant mieux. Il faut que la musique nous raconte une histoire.

7 – Techniquement, la chanson La Peau est un régal en terme de ruptures et de contretemps. Est-ce que vous vous permettez d’improviser certains passages en live ?
Non, c’est un morceau qui se suffit. Depuis un moment, il y a quand même une extension en concert mais c’est tout.

8 – La jeunesse emmerde le Front National, c’est encore vrai aujourd’hui ?
On s’en fout si c’est vrai ou pas. Pour nous, ce sont nos pires ennemis. Les Le Pen, ce sont des gens qui existent toujours mais on oublie qu’ils sont aux portes du pouvoir. Aujourd’hui, la jeunesse s’est scindée en deux. Certains s’impliquent dans l’écologie et c’est très bien mais il ne faut pas oublier les autres combats.

9 – En juin 2015 sort l’album Propaganda avec le titre Charlie. Le 13 novembre, la salle du Bataclan est frappée par les attentats. Le 30 novembre, vous faîtes un concert spécial avec Coco (dessinatrice chez C.H.) et Marika Bret (journaliste chez C.H.). Qu’est-ce qui se passe à ce moment-là ? En terme d’écriture, comment trouver les mots justes pour combattre l’impensable ?
On s’est dit que si on écrivait pas une chanson à ce moment-là, c’était une faute professionnelle. On se devait d’être là.

10 – Reuno s’en va, Kemar arrive… Vos impressions sur les premiers concerts du Bal des Enragés ?
C’est l’extase. C’est un joyaux ce collectif ! Une bande de gars sans égaux qui jouent leur son pour les autres. Hier, c’était la dernière de l’année et c’était émouvant. Je peux te l’assurer, on a eu du mal à se quitter.